La piscine municipale de Sisteron

La piscine municipale de Sisteron

La fin de l’année 2023 a marqué le coup d’envoi de la démolition de la piscine municipale de Sisteron qui avait subi, en août 2017, un incendie. La construction de cet équipement, plusieurs fois reportée, a été votée en 1969 et lancée l’année suivante, a entièrement été financée par la municipalité, désireuse de contenter les aspirations sportives de la population d’une localité éloignée du littoral.

Une longue genèse ou une suite de rendez-vous manqués

Dès 1933, la municipalité dirigée par Émile Paret exprime son intention de construire l’année suivante, une piscine en complément du stade municipal en voie d’aménagement. Ce projet de construction se révèle malheureusement sans lendemain, y compris durant le gouvernement de Front populaire, qui a pourtant mené, notamment de 1937 à 1939, une politique volontariste en faveur du sport pour le plus grand nombre, sous la conduite du ministre de l’Éducation nationale, Jean Zay, et celle du sous-secrétaire d’État chargé des Sports, des Loisirs et de l’Éducation physique Léo Lagrange. À la Libération, la réalisation d’une piscine municipale ne figure pas non plus au sein du programme des travaux de reconstruction de la ville. Mené par les forces alliées et destiné à faciliter le débarquement de Provence en retardant les troupes de secours allemandes, le bombardement du 15 août 1944 a en effet causé de très importantes destructions et les finances sisteronaises sont extrêmement sollicitées pour panser ces plaies béantes. Le projet de construction d’une piscine municipale ne resurgit qu’en 1963. À cette date, la directrice du futur lycée Paul Arène exprime ainsi, auprès de l’inspection académique, son souhait de voir intégrer la réalisation d’une piscine couverte dans le cadre du vaste projet d’aménagement de cet établissement scolaire devant accueillir plus d’un millier d’élèves au quartier de Beaulieu. Plus largement, la Ve République naissante a, comme le Front populaire, mis au premier rang de ses priorités le fait de permettre à tous les jeunes français de pratiquer, près de chez eux, une activité sportive. Les autorités s’évertuent donc à faciliter la construction d’équipements sportifs. Cette politique volontariste est marquée par la création, en 1958, d’un Haut-Commissariat à la Jeunesse et aux Sports dirigé par l’alpiniste Maurice Herzog. En 1961, ce dernier défend avec succès devant le Parlement la première loi programme relative « à l’équipement sportif et socio-éducatif », qui prend vie dans le cadre du IVe plan (1962-1965). Sisteron, cité comptant alors environ 5 000 habitants, possède malheureusement un bassin de population (6 100 habitants avec les quatre autres communes du canton) trop restreint pour pouvoir bénéficier de ces importantes subventions nationales.

Une réalisation municipale

En 1969, la municipalité dirigée par Élie Fauque répond enfin à la demande sociale qui s’exprime de manière croissante en faveur de la construction d’une piscine à Sisteron. Le projet présenté par l’architecte départemental, lors du conseil municipal du 6 juin, reçoit l’assentiment de la majorité des élus. À proximité du lycée Paul Arène, sur l’emplacement de l’éphémère stade de Beaulieu datant des années 1950, il est réalisé un bassin sportif dit « compétitions » d’une longueur de 25 m et de 10 m de large, complété d’un bassin de plongeon et d’un bassin d’apprentissage avec des plages les entourant, une infirmerie, un local technique et celui des surveillants de baignade. Outre l’accueil, sont également aménagés un espace de stockage, des vestiaires et dans leur prolongement des sanitaires (toilettes et douches) ainsi que l’indispensable pédiluve. À la sortie de ce dernier, femmes et hommes se retrouvent pour emprunter l’escalier montant aux plages et aux bassins. Le projet inclut par ailleurs des locaux destinés à la détente des usagers, tels une salle située sous le bassin de plongeon et vouée à devenir un espace de jeux ou à l’étage supérieur un bar-restaurant. Séparée de l’espace de baignade par un grillage une zone de jeux extérieure, munie de tourniquets, se situe le long de la piscine à l’abri des arbres qui la surplombent.

Les travaux de construction de la piscine de Sisteron ont débuté en 1970 et elle ouvre au public le 17 juin 1972. À cette date certains travaux ne sont cependant pas terminés, par exemple l’escalier extérieur devant mener au restaurant, et surtout l’installation de la couverture sur le grand bassin. Une réception provisoire des travaux a toutefois lieu en présence du maire et conseiller général, Élie Fauque, de plusieurs conseillers municipaux et d’autres personnalités, comme le directeur départemental de la Jeunesse et des Sports, mais aussi des principaux responsables des travaux. La réception définitive de cet équipement nautique n’intervient qu’en 1974. Le coût final s’élève à près d’un million cinq cent mille francs, alors que le projet initial avait été chiffré à moins d’un million. Ce dépassement conséquent est lié à la réalisation, au-dessus du bassin principal, d’une couverture amovible. Il s’agit d’une structure gonflable en forme de gros ballon équipée d’une porte et pouvant se gonfler et se dégonfler en fonction des besoins.

La charge est d’autant plus lourde que la municipalité de Sisteron a assumé l’ensemble du financement sans aucune aide de l’État. Elle n’a pu bénéficier ni de la seconde loi programme d’équipements sportifs (1966-1970), ni de l’opération gouvernementale 1 000 piscines lancée en 1969 par le secrétariat d’État à la Jeunesse et aux Sports et qui donne lieu à la construction de centaines de nouveaux équipements aquatiques au cours de la première moitié des années 1970. Cette dernière avait été mise en œuvre à la suite des piètres résultats de la natation française lors des Jeux olympiques de Mexico 1968. En 1972, la municipalité de Sisteron demande donc légitimement une aide de l’État pour couvrir une partie des frais de fonctionnement de la nouvelle piscine, car un déficit de financement important aurait pour conséquence de ne permettre l’ouverture de cet équipement aquatique qu’une partie de l’année, la période estivale étant à privilégier, au détriment de l’apprentissage de la natation par le public scolaire. Le 9 octobre 1972, en conseil municipal, le premier édile donne lecture d’une lettre du secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports, dans laquelle est rappelé qu’aucun crédit d’État n’est prévu pour le fonctionnement des piscines municipales. Il est cependant possible de compter sur une aide, accordée au lycée pour faciliter la fréquentation de la piscine par les scolaires. Il y a par ailleurs eu, au cours des années 1970, un projet de centre d’animation sportif, à l’initiative du directeur départemental de la Jeunesse et des Sports, qui n’a pas abouti pas. Or ce projet devait permettre l’octroi de subventions supplémentaires concernant les dépenses en personnel et en équipement. Le personnel d’encadrement est en effet composé de personnes rétribuées par la municipalité. Dans les années 1970, deux maîtres-nageurs sont recrutés ponctuellement en début de saison pour assurer la surveillance de la baignade, puis à partir de la décennie suivante cette tâche est dévolue à des éducateurs sportifs des écoles, employés à l’année par la municipalité, qui assurent également les cours de natation dès le mois de juin.

Les vicissitudes et la disparition d’un équipement

La piscine de Sisteron a certes été construite dans l’optique de profiter à tous les habitants, mais l’objectif prioritaire est de répondre aux besoins du public scolaire quel que soit l’âge des enfants ou des adolescents. La structure gonflable surplombant le bassin principal a l’avantage de permettre leur accueil, y compris lorsque le froid sévit en extérieur. Ainsi du début de son fonctionnement, en 1972, jusqu’en 1978, la piscine municipale ouvre quasiment toute l’année en dehors des mois d’hiver. Malheureusement en février de cette dernière année, le ballon servant de couverture au bassin principal s’effondre sous le poids de la neige, et ne sera jamais remplacé. Par la suite, la piscine n’ouvre plus qu’à partir de juin pour les scolaires, ainsi qu’en juillet et août pour le grand public. Durant la période estivale, la piscine est toutefois fréquentée par toutes les générations de la population sisteronaise. Les jeunes vacanciers investissent quotidiennement les lieux avec bonheur et se forgent des souvenirs. Ils profitent des plages et de la buvette qui offre une panoplie de glaces et de bonbons que l’on dévore, emmitouflés dans sa serviette. Les samedis sont eux l’occasion privilégiée de rendez-vous en famille ou entre amis.

En revanche aucun club de natation n’a été fondé dans la commune, les jeunes Sisteronais désirant s’adonner à la natation en compétition fréquentant celui de la commune voisine de Château-Arnoux-Saint-Auban. La piscine municipale de Sisteron sert aussi ponctuellement de lieu d’exercice aux pompiers locaux. Ces derniers ont passé une convention avec la municipalité pour utiliser le bassin principal pendant la fermeture annuelle de la piscine ou lorsque celle-ci se trouve, pour une raison ou une autre, hors service. En août 2017, les soldats du feu interviennent sur place non dans le cadre d’un exercice, mais au contraire au cours d’une intervention de lutte contre un incendie d’origine électrique, qui s’est déclaré dans un local technique. Ce feu provoque, en pleine saison estivale, la fermeture anticipée de la piscine. Après quarante-cinq ans de bons et loyaux services, cet équipement municipal, longtemps désiré puis largement approprié par la population comme lieu de sociabilité, cesse définitivement son activité, puisqu’elle n’est jamais rouverte au public. Laissée à l’abandon durant plusieurs années, la démolition de ce qui est devenu une friche débute au mois de décembre 2023 pour laisser place, après dépollution des sols, à deux immeubles de logements, la municipalité ayant vendu les terrains.

Bibliographie

Antoine Le Bas, « Des piscines et des villes : genèse et développement d’un équipement public », Histoire urbaine, n° 1, 2000, p. 145-162.

Pascal Ory, La Belle illusion : culture et politique sous le régime du Front populaire (1935-1938), Paris, Plon, 1994.

Kronenberger, Stéphane; Masson, Leslie