Situé à la frontière entre la Savoie (Valloire) et les Hautes-Alpes (Le Monêtier-les-Bains), le col du Galibier relie la Maurienne au Briançonnais et effectue donc la jonction géographique et climatique entre les Alpes du Nord et les Alpes du Sud. Culminant à 2642 m d’altitude, celui qui est un des plus hauts cols routiers français est enneigé une bonne partie de l’année, et n’est ouvert à la circulation qu’en période estivale, moment choisi par le Tour de France pour le mettre régulièrement à son programme depuis plus d’un siècle. Un monument situé à son sommet, qui constitue souvent le toit du Tour, rend d’ailleurs hommage à Henri Desgrange, fondateur et premier directeur de la Grande Boucle.
Un lieu de passage au sein d’un espace frontière et touristique
Le col du Galibier a été franchi, via un sentier muletier, par les simples voyageurs, botanistes ou colporteurs, mais aussi, dans cette région frontalière stratégique, par les soldats appartenant à différentes armées ou par des contrebandiers. La présence de bornes frontières ornées d’une fleur de lys ou de la croix de Savoie témoigne aussi de cette situation de confins, qui prend définitivement fin avec l’annexion de la Savoie par Napoléon III en 1860. Ces cheminements par le col se renforcent au XIXe siècle, sous l’effet d’une représentation nouvelle et plus positive de la montagne, mais aussi de la présence de l’Italie dans l’alliance militaire opposée à celle de la France. L’accès à ce col alpestre devient aussi progressivement nettement plus aisé. Malgré certaines velléités de construire dès le début du XIXe siècle une route impériale stratégique passant par le Galibier, la route carrossable ne date que de 1880. Le tunnel lui n’est percé qu’en 1891. Cet accès routier à la haute montagne préfigure ce qui va bientôt devenir, une fois asphalté au cours du XXe siècle, la « route des Alpes » de la Savoie à la Méditerranée, promue dans une optique touristique par le Touring-Club de France. Cet itinéraire reliant Évian à Nice est ensuite rebaptisé « route des Grandes Alpes » en 1950 pour en rehausser encore davantage le prestige. Le tunnel, devenu trop vétuste, est fermé en 1976 et remplacé par la route passant par le col avant sa réouverture après rénovation en 2002.
Un col mythique du Tour de France
Le col du Galibier est aujourd’hui au programme de plusieurs courses cyclistes d’importance, comme le Criterium du Dauphiné ou le Tour d’Italie, mais il est avant tout un lieu de mémoire indissociable de l’histoire du Tour de France. Créée en 1903 par Henri Desgrange, le directeur du journal L’Auto, la Grande Boucle a en effet pour vocation de contribuer à l’appropriation du territoire national. Dans ce processus, la mise au programme de la course d’étapes de montagne constitue une décision cruciale, largement critiquée par certains coureurs redoutant de telles ascensions sur des chemins non encore asphaltés. La volonté du patron du Tour Henri Desgrange est clairement de durcir l’épreuve, afin de proposer un spectacle sportif toujours plus attrayant au public et à ses lecteurs. Le Tour de France connaît sa première étape de haute montagne au Ballon d’Alsace, en 1905, puis les Pyrénées sont au programme deux ans plus tard, avec les cols de l’Aubisque et du Tourmalet. Le 10 juillet 1911, lors de la 5e étape reliant Chamonix et Grenoble, le Galibier est le premier col alpestre de très haute montagne à être escaladé. Celui qui le franchit en tête est le Français Émile Georget, un des rares coureurs à réussir l’ascension sans descendre de son vélo. Il lance alors aux suiveurs présents : « Ça vous en bouche un coin ! ». Pour gravir le Galibier par le versant nord, les coureurs partant de Saint-Michel-de-Maurienne doivent d’abord escalader durant 12 kilomètres le col du Télégraphe (1566 m), puis redescendre vers Valloire avant d’entamer une seconde montée de plus de 17 kilomètres à 7 % de moyenne passant par le hameau de Bonnenuit puis Plan Lachat et se terminant par huit derniers kilomètres à 8,5 % de moyenne, où le vent et le froid peuvent les saisir, y compris en pleine saison estivale. Le 8 juillet 1996, le col du Galibier, plongé dans la neige et le vent, ne peut ainsi être franchi par les coureurs, qui le passent en voiture. Côte Sud, la pente est certes plus douce, mais la distance est plus longue, puisque le sommet du col du Galibier est à 35 kilomètres de Briançon avec passage obligé au col du Lautaret (2058 m). Malgré, et sans doute à cause, de sa difficulté le Galibier est le col alpestre le plus souvent escaladé par les coureurs du Tour de France, qui depuis 1911 ont souffert à plus de soixante reprises sur ses pentes. Classé hors catégorie depuis 1979, il a ainsi largement contribué à l’héroïsation de ceux que le journaliste Albert Londres a baptisé les « forçats de la route ». Lieu d’exploits retentissants, il est aussi celui de terribles défaillances, comme celle de Raymond Poulidor en 1974 qui y perd le Tour au profit du Belge Eddy Merckx. C’est aussi là que le premier accident mortel du Tour a eu lieu. Le 11 juillet 1935, lors de la 7e étape entre Aix-les-Bains et Grenoble, le coureur espagnol Francisco Cepeda, chute en effet lourdement dans la descente et décède quelques jours plus tard.
À la suite d’Émile Georget, les plus grands coureurs ont passé le col en tête, comme Eugène Christophe en 1912, Henri Pélissier en 1914 et 1923, Antonin Magne en 1927 ou l’Italien Gino Bartali en 1937 et 1948. En 1952, c’est son compatriote Fausto Coppi qui passe en tête, mais l’image qui reste dans les mémoires est un échange de gourde dans la montée du col entre les deux rivaux. Un autre coureur transalpin, Marco Pantani, s’envole en 1998 dans le Galibier et prend le maillot jaune aux dépends de l’Allemand Jan Ullrich avant de gagner le Tour. Mort prématurément en 2004, le monument « Pantani Forever » lui rend hommage, depuis 2011, aux Granges du Galibier à 2 295 m d’altitude, soit au point précis du début de son attaque de 1998. Le 17 juillet 2007, les pentes du Galibier sont le théâtre d’une démonstration de force du futur vainqueur du Tour, l’Espagnol Alberto Contador, qui s’affranchit ce jour-là de son statut d’équipier, en marchant sur les pas de son illustre aïeul « l’aigle de Tolède » Federico Bahamontes passé en tête du col en 1954 et 1964.
Le 21 juillet 2011 pour fêter le centenaire de la première ascension du col, la 18e étape propose pour la première fois une arrivée au sommet du Galibier, soit la plus haute arrivée jamais enregistrée sur la Grande Boucle. C’est le grimpeur luxembourgeois Andy Schleck, passé à l’offensive dans le col de l’Izoard, qui s’impose, rappelant le passage en tête du col de son compatriote Charly Gaul en 1955. Le lendemain la course repart de Modane et le peloton gravit le Télégraphe avant d’escalader le Galibier dans l’autre sens, soit une montée plus difficile que la veille, avant que l’étape ne se termine à l’Alpe d’Huez. Cette double montée du Galibier, par les deux versants, est rééditée lors du Tour 2022 proposant une 11e étape entre Albertville et le col du Granon et une 12e reliant Briançon à l’Alpe d’Huez. En 2024, le coureur slovène Tadej Pogacar effectue la montée du col du Galibier la plus rapide de l’histoire du Tour de France en gravissant les 8,5 derniers kilomètres jusqu’au sommet en à peine 20 minutes et 50 secondes.
Le monument commémoratif Henri Desgrange
La patrimonialisation du col du Galibier prend la forme d’un monument commémoratif à son sommet. En 1949, neuf ans après la mort d’Henri Desgrange, une stèle est en effet édifiée pour lui rendre hommage sur le versant sud du Galibier à l’entrée du tunnel sur le territoire communal du Monêtier-les-Bains. Œuvre de l’architecte lyonnais Alexandre Audouze-Tabourin, le monument commémoratif Henri Desgrange se présente sous la forme d’une large colonne en pierre de taille comportant une carte de France et portant l’inscription en relief suivante : « À la gloire de Henri Desgrange 1865-1940 Ancien directeur du journal l’Auto Créateur du Tour de France cycliste ». Henri Desgrange a d’abord été un coureur cycliste ayant eu à son actif plusieurs records de vitesse. Il devient notamment, en 1893, le premier recordman de l’heure. Reconverti comme bâtisseur ou administrateur de vélodromes et directeur du journal sportif L’Auto, il passe à la postérité comme créateur et organisateur, entre 1903 et 1936, du Tour de France. Il est aussi, en 1904, le fondateur des Audax français, pratiquant des épreuves d’endurance cycliste, comme le rappelle une plaque de marbre apposée, en 1974 sur le monument du col du Galibier. Enfin dès 1947 est créé le souvenir Henri Desgrange récompensant chaque année le coureur du Tour de France franchissant en tête le col du Galibier ou, à défaut, le col le plus élevé au programme de la course. Le 11 juillet 1911, au lendemain de la première ascension du Galibier par les coureurs du Tour de France, Henri Desgrange avait écrit dans L’Auto une vibrante ode à ce col alpestre : « Ô Sappey ! Ô Laffrey ! Ô col Bayard ! Ô Tourmalet ! Je ne faillirai pas à mon devoir en proclamant qu’à côté du Galibier, vous êtes de la pâle et vulgaire “bibine” : devant ce géant, il n’y a plus qu’à tirer son bonnet et à saluer bien bas ! ».
Bibliographie
Bourgier, Jean-Paul, Ô Galibier. Sommet du Tour de France : 1911-1937, Toulouse, Le Pas d’oiseau, 2017.
Conord, Fabien, Le Tour de France à l’heure nationale : 1930-1968, Paris, PUF, 2014.
Londres, Albert, Les forçats de la route : Tour de France tour de souffrance, Paris, Payot et Rivages, 1924.
Seray, Jacques et Lablaine Jacques, Henri Desgrange, l’homme qui créa le Tour de France, Saint-Malo, Cristel, 2006.
Vigarello Georges, « Tour de France », in Nora Pierre (dir.), Les Lieux de mémoire. T. III Les France, Paris, Gallimard, 1992.