Totalement disparu au début du XXIe siècle au profit d’ultimes opérations immobilières, le stade de l’Huveaune, situé au sud de la cité phocéenne non loin de la mer, naît en 1904 devant la nécessité de disposer d’un terrain dédié aux sports collectifs. Il a été le cadre des premiers exploits sportifs de l’Olympique de Marseille, tout en accueillant d’autres compétitions sportives comme des matchs de rugby. Ayant connu un déclin progressif à partir de 1937, à la suite de l’inauguration du stade Vélodrome, il demeure toutefois présent jusqu’à nos jours dans la mémoire de nombreux Marseillais.
Une construction nécessaire
Au tournant des XIXe et XXe siècles, les premières sociétés sportives voient le jour à Marseille, notamment des clubs de football, tels que l’Union sportive phocéenne, le Football Club de Marseille, le Sporting Club de Marseille ou encore le Stade helvétique. Dans un premier temps, ces équipes s’affrontent principalement au parc Borély, comme en témoigne le premier match de football de l’OM disputé en 1900 contre l’US Phocéenne (1-0). À cette époque, les joueurs de l’OM évoluent aussi régulièrement sur le champ de manœuvres du Rouet, car les pelouses du parc Borély ne sont pas toujours disponibles (elles sont aussi destinées à la coupe pour les éleveurs de bovins laitiers). Il faut installer les poteaux de but et tracer les lignes du terrain à chaque match. À partir de 1904, le club décide de s’installer entre le parc Borély et la plage du Prado. Le stade prend le nom de stade de l’Huveaune en référence au fleuve qui le longe et se jette à la mer non loin de là. Le football est loin d’être exclusif, puisque dès février 1904 le terrain de l’Huveaune accueille un match interrégional de rugby entre le Stade grenoblois, champion des Alpes, et l’Olympique de Marseille, champion du littoral.
L’âge d’or du stade de l’Huveaune (1904-1937)
Dans un premier temps, le stade ne dispose d’aucune tribune, et les spectateurs, bien que très nombreux, se massent au bord de la pelouse, uniquement séparés des joueurs par une simple corde. Le stade est ensuite doté, en 1907, d’une tribune latérale, qui permet d’accueillir près de 5 000 spectateurs. Le stade devient le terrain d’affrontements répétés entre le Stade helvétique et l’Olympique de Marseille. Le Stade helvétique est une équipe composée essentiellement de membres de la communauté suisse résidant à Marseille. Ce club remporte six années de suite le titre de champion du littoral entre 1909 et 1914, et le Championnat de France en 1909, 1911 et 1913. Le Stade helvétique est donc, à cette époque, le club le plus en vogue à Marseille. À partir de 1916, l’OM le devient sans aucun concurrent réel. Le Stade helvétique, comptant dans ses rangs bons nombre d’étrangers, est en effet interdit de disputer le championnat à partir du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Le club n’y survit pas et disparaît en 1916.
Le terrain sur lequel est construit le stade de l’Huveaune est loué à la Compagnie des Docks, avant d’être acheté, en 1919, par Paul Le Cesne, président et mécène de l’OM, qui le loue au club contre un modeste loyer. Porté par la popularité grandissante du football, l’OM, avec le soutien financier de son mécène et des supporters, rénove et agrandit le stade de l’Huveaune. Il atteint 15 000 places en 1920. La configuration du stade a été redessinée et la grande tribune qui devait accueillir, en février 1921, les spectateurs du match amical de football France Italie, n’est inaugurée que le mois suivant. Le 20 février 1921, l’Huveaune connaît en effet sa première rencontre internationale, qui attire des milliers de spectateurs et se solde par la victoire 2 à 1 des visiteurs transalpins. Le banquet qui suit le match, donné à la Société nautique sur le Vieux-Port, est présidé par le président de la Fédération française de Football, Jules Rimet, en présence du président de l’Olympique de Marseille Marino Dallaporta, mais aussi du consul général d’Italie à Marseille, Enrico Ciapelli, qui remet à l’équipe de France, en signe de bonne entente entre les deux sœurs latines, une « coupe des amis du sport ». L’année suivante, en 1922, le stade continue son développement, car les dirigeants de l’OM y installent un système d’arrosage et deux autres tribunes non couvertes pour accueillir les supporters olympiens plus nombreux après les victoires en Coupe de France en 1924, 1926 et 1927. Parallèlement aux matchs de football, le stade voit aussi se disputer en son sein des matchs de rugby, par exemple celui qui oppose, en janvier 1928, l’Olympique de Marseille à l’Union Sportive perpignanaise, championne de France quatre ans plus tôt. Dès le 12 septembre 1926 s’est aussi disputé à l’Huveaune un match international entre une sélection de joueurs marseillais, renforcés par des éléments du Racing Club de Toulon et du Sporting Olympique Avignon, et des rugbymen néo-zélandais maoris. Ces derniers débutent une tournée en Europe et l’emportent sur le score sans appel de 87 à 0 face à des adversaires insuffisamment entraînés.
En 1928, Paul Le Cesne propose au président olympien Gabriel Dard de donner au stade de l’Huveaune le nom de Fernand Bouisson, un des joueurs du Football Club de Marseille (ancêtre de l’OM), ancien capitaine de l’équipe de rugby du club, devenu, en 1927, président de la Chambre des députés (actuelle Assemblée nationale) et qui le demeurera jusqu’en 1936. Le 15 avril 1928, le stade de l’Huveaune devient donc le stade Fernand Bouisson. En présence de nombreuses personnalités, dont le maire de Marseille Siméon Flaissières, l’intéressé brise symboliquement une bouteille de champagne, alors que l’inscription suivante est dévoilée : « Stade Fernand Bouisson Olympique de Marseille ». Le temps pluvieux n’empêche pas de célébrer dignement ce baptême, puisque l’enceinte accueille une journée multisport. Cette dernière comporte un match de rugby, un match de football entre l’OM et le FC Sète, un match de basket-ball féminin entre l’OM et le Club Athlétique de la Société Générale (CASG) de Marseille, et enfin une réunion d’athlétisme. Un an plus tard, en 1929, le stade connaît de nouvelles améliorations : les deux tribunes latérales sont couvertes et un tableau d’affichage est installé. Le 9 février 1930, cette enceinte accueille un nouveau match international, après celui de 1921, toujours contre les voisins transalpins. Une sélection du Sud-Est affronte en effet l’équipe nationale B d’Italie, accueillie la veille à la gare Saint-Charles par le président de la ligue du Sud-Est, le vice-consul d’Italie et plusieurs autres notables issus de l’importante colonie transalpine de la cité phocéenne. Ils passent ensuite au siège de la ligue du Sud-Est et au consulat général d’Italie avant de regagner leur hôtel. Composée de joueurs de l’OM, mais aussi du FC Sète, de l’AS Cannes et de l’OGC Nice, l’équipe du Sud-Est l’emporte sur le score de 3 buts à 2 face aux Italiens, sous les yeux de 12 000 spectateurs parmi lesquels se trouvent Gabriel Dard, président de l’OM, Jules Rimet, devenu président de la FIFA, mais aussi le consul général d’Italie. Dans ce sillage, le stade poursuit son évolution en étroite liaison avec celle du club local, qui y dispute ses rencontres et profite de la proximité entre les spectateurs et les joueurs. Ainsi l’OM entre, en 1932, dans l’ère du football professionnel et signe un nouveau bail de vingt ans avec Paul Le Cesne. Les dirigeants du club font construire une nouvelle tribune de 120 mètres de long, pouvant accueillir 12 000 spectateurs, dont ils deviennent propriétaires. Toutes les places en tribune sont alors couvertes. La pelouse est aussi ceinte d’un grillage de 2,5 mètres de haut pour éviter les débordements du public. En 1937, l’OM y remporte son premier titre de champion de France professionnel, avec au compteur une seule défaite à domicile contre le FC Sochaux son dauphin. La même année sont tournées dans le stade des images du film de Pierre Colombier, Les Rois du sport, dans lequel Fernandel joue le rôle d’un gardien de but peu dégourdi. Parmi les figurants se trouvent plusieurs joueurs de l’OM, dont le gardien brésilien vedette Jaguaré Vasconcellos.
Un déclin progressif (1937-1982)
L’année 1937 marque un tournant pour le stade de l’Huveaune, car le stade Vélodrome est inauguré dans les quartiers sud et peut accueillir près de 35 000 spectateurs. Bien qu’il appartienne à la municipalité, l’OM choisit de s’installer sur ce nouveau stade, tout en conservant le stade de l’Huveaune comme terrain d’entraînement jusqu’en 1982. Durant les « championnats de guerre », le club olympien retourne jouer au stade de l’Huveaune jusqu’en septembre 1943, car le stade Vélodrome fait l’objet d’une réquisition. Pour la saison 1943-1944, le colonel Joseph Pascot, ministre des Sports du régime de Vichy, décide de remplacer les trente-deux équipes professionnelles par seize équipes fédérales, l’équipe de Marseille-Provence se substituant à l’OM.
En 1949, le stade, rénové après avoir subi des dégâts durant le conflit, accueille les matchs de championnat du Groupe Sporting Club de Marseille, second club professionnel à Marseille qui évolue deux saisons en deuxième division avant de disparaître. En 1954, ce qui reste de la pelouse est aménagé en piste pour accueillir des courses de stock-car, discipline automobile née aux États-Unis deux décennies auparavant et qui fait alors son apparition en France et en Europe. Les tribunes du stade sont pleines pour assister à ce spectacle inédit où se succèdent collisions et sorties de piste. En 1958, c’est au tour d’un autre sport américain, le baseball, d’être proposé au stade de l’Huveaune devant un maigre public. Une rencontre entre une sélection d’Île-de-France et le comité de Provence y a en effet lieu, et c’est le consul des États-Unis à Marseille, en personne, qui lance la première balle. Le but de cette manifestation sportive atypique est de promouvoir davantage ce sport dans le sud de la France. Pour en revenir au football, notons qu’en 1963, l’OM ne souhaite pas renouveler le bail de location du stade avec la famille Le Cesne, tout en continuant à l’utiliser. L’année suivante, cette dernière obtient donc logiquement, par arrêté préfectoral, l’expulsion du club. Mais l’OM continue, dans les faits, de se servir de l’infrastructure. Arrivé à la présidence du club en juillet 1965, après une saison catastrophique où l’OM termine seizième de Division 2, Marcel Leclerc décide en effet de quitter le stade Vélodrome, estimant que le loyer demandé par la mairie est trop élevé. Le stade Vélodrome devient l’objet d’un conflit entre le maire Gaston Deferre et le président Leclerc, lequel menace même d’aller construire un nouveau stade aux Pennes Mirabeau ou autour de l’étang de Berre. Il faut alors remettre en état le Stade de l’Huveaune. Les 10 millions de francs de travaux investis ne rendent pas pour autant le stade très confortable, mais le nouveau président conçoit la proximité du public comme un atout majeur dans sa quête de remontée en Première division. En septembre 1965 se déroule ainsi à l’Huveaune, devant 10 000 spectateurs, un match de Division 2 entre l’Olympique de Marseille et le Stade de Reims, remporté 2 à 1 par les Olympiens malgré une ouverture du score de Raymond Kopa. Après des négociations ardues avec la mairie, l’OM retourne toutefois au stade Vélodrome en novembre 1965. Mais c’est bien dans son antre de l’Huveaune que se joue le match décisif contre le Sporting Club de Bastia le 11 juin 1966. Cette victoire 3 à 0 sur le club corse permet aux Marseillais de remonter à l’échelon supérieur, en compagnie des Rémois. C’est l’un des derniers grands moments de l’OM au stade de l’Huveaune. Des matchs de l’équipe féminine de l’OM se déroulent cependant à l’Huveaune, comme en décembre 1979 contre l’AS Saint-Étienne. Le stade est ensuite utilisé une dernière saison par l’OM, en 1982-1983, car le stade Vélodrome est en travaux pour accueillir l’Euro 1984. En juillet 1982, l’Huveaune sert aussi d’écrin à la finale du concours international de pétanque « La Marseillaise », qui voit Albert Pisapia remporter le cinquième de ses sept titres (1964, 1966, 1971, 1979, 1982, 1985 et 1990) dans cette compétition.
Un patrimoine progressivement abandonné (1983-1998)
À partir de 1983, le stade de l’Huveaune n’accueille plus que les séances d’entraînement des sections juniors et amateurs de l’OM, les professionnels s’entraînant à Saint-Menet, à Luminy puis à la Commanderie. Le stade est par conséquent bien moins entretenu jusqu’à la fin des années 1990, et tombe progressivement en désuétude. Il avait auparavant déjà perdu de sa superbe. Dans les années 1970, deux tribunes sont détruites, la première pour favoriser le développement d’un projet immobilier à proximité, et la deuxième en raison de l’usure du temps.
L’histoire du stade de l’Huveaune s’achève en deux temps. D’abord, par la vente, en 1997, d’une partie du complexe à des promoteurs immobiliers qui construisent des immeubles à la place. L’enceinte est alors coupée en deux et une seule partie est conservée. Malgré la volonté du maire de la ville, Jean-Claude Gaudin, de reconstruire le stade, la deuxième partie est également vendue aux promoteurs immobiliers au début des années 2000, pour la somme de 6 millions d’euros, car le terrain était pollué. Le stade est définitivement détruit en 2008, emportant avec lui un pan entier de l’histoire du sport marseillais et de l’OM. Seul souvenir de l’époque glorieuse du stade de l’Huveaune, une rue qui longeait le stade porte encore aujourd’hui le nom de Traverse de l’Olympique.
Bibliographie
Jérôme Andreacchio, L’Histoire de l’Olympique de Marseille, Paris, Hugo Sport, 2024.
Laurent Bocquillon, « L’Olympique de Marseille de Marcel Leclerc : l’accession d’une victime au pouvoir (1965-1966) », in Football en Méditerranée occidentale de 1900 à 1975, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2010, p.143-163.
Christian Bromberger, Le Match de football : Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1995.