Le stade Roumagoux (Oppède)

Le stade Roumagoux (Oppède)

Depuis 1938, le stade Roumagoux d’Oppède est l’épicentre du football vauclusien. Niché au pied du Luberon, il accueille chaque année la finale de la Coupe Roumagoux, fondée par le Sporting Club d’Oppède. Depuis sa création, le stade accueille pour la finale une affluence moyenne supérieure à un millier de spectateurs. Comment ce modeste stade du petit village d’Oppède a-t-il pu devenir un lieu de ferveur et de mémoire populaires du football vauclusien ? Il doit son nom au député-maire Eugène Roumagoux, médecin du village d’Oppède, mécène et bienfaiteur du club de football local. L’histoire de ce stade raconte d’une certaine manière une histoire par le bas du football vauclusien.

Eugène Roumagoux, un député-maire radical-socialiste passionné de football

Dans la lignée de la politique sportive municipale entreprise par Edouard Herriot, maire radical-socialiste de Lyon, des édiles radicaux-socialistes vauclusiens soutiennent le club de football de leur localité, notamment par le financement de l’aménagement d’un stade. En 1931, après la fondation du Sporting Club d’Oppède, Eugène Roumagoux, finance la construction d’un stade sur un terrain agricole acquis par la municipalité, qu’il dirige depuis le lendemain de la Première Guerre mondiale. Né le 13 décembre 1877 à Trets, il est médecin généraliste de formation. Impliqué très tôt dans la vie politique locale, il devient successivement conseiller général du canton de Bonnieux en 1913 puis maire d’Oppède en 1919. En 1921, il est nommé vice-président de l’assemblée départementale de Vaucluse, puis il est élu député de Vaucluse en 1928 et siège aux côtés de son ami Edouard Daladier. En tant que maire et mécène, il permet au village de se doter d’un stade municipal — c’est le premier village du département à posséder un stade municipal — qui porte son nom dès 1931 et qui est considéré « comme le plus beau stade du département si ce n’est pas de la région » selon le secrétaire de l’Union régionale corporative agricole en 1943.

Un stade témoin de la popularisation du football dans les villages du Luberon dans l’entre-deux-guerres

Au début du XXe siècle, le vieux village perché d’Oppède connait un abandon progressif par sa population. Elle quitte peu à peu l’âpre rocher, long à gravir après les travaux pénibles des longues journées pour s’établir dans la plaine, au milieu des cultures. Le village perché est mort mais non la communauté, amoindrie certes, qui se regroupe au hameau des Poulivets. C’est à quelques centaines de mètres de ce nouveau centre villageois avec sa mairie, son école, son monument aux morts qu’est aménagé le stade Roumagoux. Il témoigne de la diffusion du football dans les villages de la vallée du Calavon dans l’entre-deux-guerres. Cette diffusion est le corollaire de la progressive modernisation de l’agriculture vauclusienne. Les paysans sont largement majoritaires à la fois dans les premiers comités directeurs du Sporting Club mais aussi dans ses premières équipes.

Du moto-ball au football. Un haut lieu du sport vauclusien dans les années 1930

En 2017, Marc Martinet, président du district Grand Vaucluse, avertit, dans les colonnes de La Provence, que « la Roumagoux, c’est l’histoire du Vaucluse ». À l’origine, la Coupe du docteur Roumagoux est un objet d’art d’une valeur de 500 francs remis au gagnant du match de moto-ball entre le Moto-Club d’Avignon et le Racer de Carpentras, deux des meilleures équipes françaises respectivement championnes de France 1934, 1935 et 1937 et finaliste du championnat de France en 1936, à l’occasion de la fête annuelle du SC Oppède organisée au stade du docteur Roumagoux. Le Racer de Carpentras, champion de France en 1938, remporte 3 fois consécutivement la Coupe Roumagoux de moto-ball et se l’adjuge définitivement en 1939.
Le 25 juin 1938, par une décision du conseil d’administration du SC Oppède, la Coupe docteur Roumagoux, dénommée ainsi « en reconnaissance des services rendus aux sports par son Président d’Honneur » selon La Gazette sportive, devient une compétition officielle de football. Le grand succès populaire que constitue la Coupe du monde de football de la FIFA organisée en France entre le 4 et le 19 juin 1938 entraine la transformation de cette compétition sportive. Rapidement homologuée par la Commission technique des règlements et pénalités du District de Provence le 26 juillet 1938, elle est ouverte aux clubs non suspendus du District de Provence de 5e, 4e, 3e et 2e divisions, ainsi qu’à ceux qui ne disputent pas les championnats et dont le siège social se trouve dans le département de Vaucluse, sauf le canton de Valréas, et dans un rayon de 40 kms d’Oppède à vol d’oiseau dans les Bouches-du-Rhône. Cette géographie de la compétition épouse une grande partie de l’espace vécu du football vauclusien, qui ne se restreint pas aux limites administratives du département, espace qui s’étend entre le Comtat, la vallée du Rhône, le Luberon et la vallée de la Durance jusqu’aux Alpilles, rassemblant des clubs des départements du Vaucluse, du Gard et des Bouches-du-Rhône.

Le stade Roumagoux, lieu de mémoire du football vauclusien depuis la fin des années 1930

À l’image de la finale de la Coupe de France, véritable « fête nationale du football français » (Paul Dietschy, 2007), le stade Roumagoux devient le lieu de la fête départementale du football vauclusien. Il rend compte de la diffusion de certaines valeurs du modèle républicain dans le football jusqu’à aujourd’hui. Calquée sur la Coupe de Provence, elle-même calquée sur la Coupe de France, la Coupe du docteur Roumagoux se distingue par la volonté de préserver l’égalité des chances des petits clubs. Dans le cadre de la Coupe de Provence, les petits clubs des villages vauclusiens ne parviennent que très rarement à se hisser au niveau des équipes marseillaises et sont souvent rapidement éliminés. Face à ce constat, les dirigeants du SC Oppède veulent s’inspirer de ces compétitions, qui illustrent parfaitement le principe de la promotion républicaine « d’une société en progrès où l’ascension sociale individuelle d’abord, la démocratisation ensuite constituent le destin promis à tous » (Paul Dietschy, Ibid.), un principe qui propose « un modèle attractif pour toute une fraction de la société » afin de permettre à la masse des footballeurs vauclusiens de vivre une foule d’émotions que peut procurer ce type de compétition à élimination directe. En outre, elle doit permettre aux plus humbles animés par leur volonté et les valeurs de l’amateurisme de pouvoir atteindre le succès suprême et recueillir la gloire qui rejaillit sur le vainqueur. En raison du retard certain du football dans de nombreux centres urbains vauclusiens, elle devient un lieu où s’exprime cet idéal méritocratique s’idéalisant dans la revanche des « petits » contre les « gros », des villages contre les villes, des petits villages contre les gros villages.

Romain Gardi

Bibliographie

Dietschy, Paul, « La Coupe de France “fête nationale du football français” dans l’’entre-deux-guerres » in GOUNOT André (dir.), JALLAT Denis (dir.) et CARITEY, Benoît (dir.), Les Politiques au stade : Étude comparée des manifestations sportives du XIXe au XXIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 95-109.
Gardi, Romain, À l’ombre de l’Olympique de Marseille. Histoire sociale et culturelle du football en Vaucluse de la fin du XIXe siècle au début des années 1980, thèse en cours sous la direction de Natalie Petiteau et Marion Fontaine, Avignon Université.
Monier, Frédéric, La Politique des plaintes. Clientélisme et demandes sociales dans le Vaucluse d’Edouard Daladier (1890-1940), Paris La Boutique de l’Histoire, 2007.
Monier, Jean-Pierre, Le Rendez-vous d’Oppède, Jonquières, Sporting Club Jonquiérois, 1988.

Gardi, Romain