Les calanques de Marseille


Les calanques de Marseille

Avec environ 3 400 voies répertoriées (2 400 sportives et 1 000 d’aventure), les Calanques sont aujourd’hui l’un des plus célèbres sites d’escalade en France et en Europe. Il s’agit d’un massif calcaire, une sorte de « petit massif alpin » selon l’alpiniste Edouard Frendo, qui s’étend sur plus de vingt kilomètres de côtes entre le village de La Madrague (quartier du sud-ouest de la ville de Marseille) et la commune de Cassis. Avant de devenir un « terrain d’aventure », les Calanques étaient des exploitées pour des activités agricoles et pastorales puis industrielles, à partir du XIXe siècle.

Premières escalades

C’est qu’à partir des années 1880 que les Calanques sont parcourues par des férus d’escalade. En 1879, le vice-consul anglais de Marseille Francis W. Mark, qui est l’un des membres fondateurs de la section provençale du Club alpin français en 1874, est le premier à gravir, seul, la Grande Candelle, sommet qui culmine à 454 mètres d’altitude. Il faut cependant attendre le début du XXe siècle pour que la pratique de l’escalade se développe véritablement notamment grâce aux membres de la Société des excursionnistes marseillais fondée en janvier 1897. Ces petits notables marseillais organisent « chaque quinzaine, au moins, une excursion utile et agréable dirigée par des guides sûrs » afin de se tenir « loin de l’air pernicieux des cafés » (Bulletin de 1898). Randonneurs, ils pratiquent aussi l’escalade. À Marseille, des clubs plus spécialisés emboitent le pas : en 1900 est fondé le Rocher Club de Provence, puis en 1905, le Climber’s club.

Maurice Bourgogne, secrétaire général de la section de Provence du Club alpin français évoque alors « aux portes de Marseille, dans les rochers de nos chaînes côtières, un terrain à souhait pour le sport de l’escalade ; j’entends parler de la vraie et sérieuse escalade, de cette lutte corps à corps où tous les muscles se tendent tous les ressorts de l’être : rude et passionnante école d’énergie, de réaction contre l’aveulissement des villes ». (Annuaire du Club alpin français, 1902).

Ouvertures de voies et progrès techniques

À partir des années 1920, de nombreuses voies sont ouvertes présentant des niveaux de difficulté croissant. En avril 1927, « l’Arête de Marseille » sur la Grande Candelle est déjà considérée comme l’une des plus belles. Dans les années 1930, des grimpeurs de mieux en mieux formés, notamment au sein du Groupe de Haute Montagne fondé en 1919, recourent aux pitons pour leurs ascensions. Edouard Frendo, né à Sfax en Tunisie mais ayant grandi à Marseille est l’un de ceux qui développe cette technique du pitonnage qui permet l’essor de l’escalade artificielle et l’accès à des voies toujours plus difficiles. Georges Livanos, né au sein de l’importante communauté grecque à Marseille, ouvre ainsi ouvre quelque 500 voies dans les Calanques. « Le Grec » grimpe avec un autre Marseillais appelé à une grande renommée. Georges Rébuffat parcourt les Calanques dès son plus jeune âge au sein notamment de l’œuvre Joseph Allemand, le plus ancien patronage marseillais. S’il s’envole dès ces 20 ans vers d’autres sommets, il ne cesse toutefois d’y revenir et de contribuer à la promotion du site au travers de livres ou de films. À partir des années 1960, les Calanques acquièrent une grande notoriété et leurs accès est favorisé par la publication de topo-guides. En 1972, la section provençale du Club alpin français note que les Calanques sont « envahies » par des « étrangers, « aux nombreux grimpeurs venant de toute la France s’ajoutent les Allemands et les Suisses qui sont particulièrement fidèles, mais il est maintenant de plus en plus fréquent de rencontrer des grimpeurs anglais, italiens et même japonais ».

L’escalade libre

Ce sont des grimpeurs américains, rompus aux parois granitiques du Parc Yosemite, en Californie, qui font souffler un vent nouveau sur les Calanques dans ces années 1960. Participant d’un esprit « libériste » très en vogue à ce moment dans les sports de pleine nature, ils remettent en cause l’escalade artificielle, dénoncée pour ses conséquences sur la dégradation du rocher par la répétition du pitonnage et comme dénaturant l’esprit originelle des ascensions.

L’« éperon des Américains » dans la Calanque d’En Vau ouverte en 1963 par John Harlin, Gary Hemming (« le beatnik des cimes ») et Royal Robbins est l’une des voies symboliques de cette époque de l’escalade libre triomphante.

Plus tard, le grimpeur Patrick Edlinger et en particulier son film « La Vie au bout des doigts » (1982) suscite un véritable engouement pour la pratique. Edlinger aime à venir grimper dans les Calanques. Son effroyable chute, en 1995, à laquelle il réchappe miraculeusement, vient rappeler que l’escalade n’y est pas sans danger. Certaines voies demeurent l’apanage des professionnels les plus aguerris. Il n’en reste pas moins que la fréquentation des calanques de ne cesse d’augmenter. De très nombreuses voies sont équipées d’ancrages permanents fixés sur le rocher financés par les clubs et collectivités locales.

Un environnement à préserver

Les grimpeurs sont très tôt sensibilisés à la nécessité de préserver ce site magnifique. Pour Georges Livanos, « l’originalité des Calanques c’est la mer, voisine inhabituelle du grimpeur, et quand cette mer s’appelle la Méditerranée, le paysage ne peut être fait que de lumières et de ton violents à la Van Gogh. Bleu profond de la mer, marbres blancs des parois, tâches vertes de mobiles des pins, éclatantes de couleurs qui palpitent sous les torrents lumineux du soleil du Midi » Et d’ajouter « Du reste, il vaut mieux que je n’évoque pas les Calanques de façon trop attirante, je contribuerai moins à leur envahissement par les foules dont la virtuosité destructrice n’est battue, et d’une courte tête, que par les bulldozers » (Au-delà de la verticale, 1958).

Déjà en 1910, les excursionnistes, les membres du Club alpin français participent à une manifestation pour s’opposer à l’extension du front de taille de la carrière à Port Mioux. Dans les années 1960, Paul Rouaix, président des excursionnistes marseillais, prend la tête du comité pour la défense des sites naturels.

La création du parc national des Calanques en 2012 constitue un aboutissement non seulement en empêchant d’éventuelles implantations industrielles et immobilières, mais aussi en encadrant les pratiques de loisirs toujours plus nombreuses. Il est désormais interdit d’équiper de nouvelles voies d’escalade tandis des mesures de protection de la faune et flore réglementent la pratique. Les Calanques demeurent ainsi ce « terrain de jeu » cher à Gaston Rébuffat qui y a trouvé « la Terre, la Mer et le Ciel. » (Les Calanques, 1949).

Bibliographie

Attard-Maraninchi Marie-Françoise, « L’alpinisme, facteur de cohésion sociale des Excursionnistes marseillais. Étude d’un paradoxe », in Hoibian Olivier, Defrance Jacques (dir.), Deux siècles d’alpinismes européens, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 23-42.

Attard-Maraninchi Marie-Françoise, « Les photographies des Excursionnistes marseillais, témoignage d’une « conquête » de la Provence (1897-1914) », [texte intégral : http://www.imageson.org/document715.html].

Ballu Yves, Gaston Rébuffat : la montagne pour amie, Paris, Hoëbeke, 2011

Chabrol Jean-Paul, « Une brève histoire de l’escalade dans les Bouches-du-Rhône » [texte intégral :  https://www.academia.edu/17780580/Une_brève_histoire_de_lescalade_dans_les_Bouches-du-Rhône].

Chabrol Jean-Paul, « Historique premières en escalade dans les Calanques », [texte intégral : https://www.academia.edu/9521522/Historique_des_premières_en_escalade_dans_les_Calanques ].

Daumalin Xavier, Laffont-Schwob (dir.), Les Calanques industrielles de Marseille et leurs pollutions. Une histoire au présent, Aix-en-Provence, Ref.2e éditions, 2016.

Livanos Georges, Au-delà de la verticale, Paris, Arthaud, 1958.

Rébuffat Georges, Ollive Gabriel M., Calanques, Paris, Arthaud, 1949.

Vaucher Bernard, Des rochers et des hommes. Cent vingt ans d’escalade dans les Calanques, Edition de l’Envol, 2001.

Mourlane, Stéphane