La traversée de la Méditerranée en plus léger que l’air

La traversée de la Méditerranée en plus léger que l’air

« Est-ce la Corse ou la Sardaigne ? On descend, c’est bien la Corse ! […]. L’atterrissage se fait avec quelques secousses violentes. Capazza crie à M. Fondère d’éventrer le Gabizos avec son couteau […]. M. Fondère tombe à couteau raccourci sur le Gabizos. Capazza lui-même porte un coup de maitre à son ballon, qui se fend largement et expire doucement en rendant son âme de gaz avec la plus grande résignation » (Bastia Journal du 16 novembre 1886). En ce dimanche 14 novembre 1886, il est environ dix heures du soir, au lieu-dit l’Alzelli, sur la commune d’Appiettu, non loin d’Ajaccio, Louis Capazza et Alphonse Fondère, partis cinq heures et demie plus tôt de Marseille, viennent de réaliser la première traversée d’un plus léger que l’air en Méditerranée.

L’exploit

Louis Capazza est né le 17 janvier 1862 à Bastia, après des études au lycée de la ville, il entre aux Ponts-et-Chaussées puis quitte la Corse pour Paris afin de rejoindre son nouveau poste. C’est dans la capitale qu’il entre en contact avec le milieu des aéronautes tout en menant des recherches assidues sur les ballons. Il se fait remarquer par plusieurs inventions dans le domaine, en particulier le parachute-lest, qui lui valent l’intérêt des autorités militaires et des comptes rendus élogieux dans la presse nationale. Il est donc loin d’être un inconnu lorsque, en 1886, il décide d’entreprendre la traversée de la Méditerranée de Marseille vers la Corse, après un échec en sens inverse. Le 14 novembre, il y a foule sur la Place Saint-Michel où la préparation du ballon se fait dans une joyeuse pagaille, au milieu des badauds et alors que la fanfare de la société des Pionniers de l’Avenir fait entendre plusieurs morceaux de son répertoire. Le départ doit être plus d’une fois repoussé, finalement, vers 16h30, malgré un fort mistral, Capazza décide de partir, en compagnie de Hyacinthe-Alphonse Fondère, né à Marseille, le 26 août 1865, attaché à la mission de Brazza au Congo. Le départ, déjà perturbé par le vent, l’est encore plus par le public qui se presse autour de la nacelle. Finalement, le ballon prend son envol, non sans effleurer le toit d’une maison, mais Le Gabizos est équipé du parachute-lest, qui lui permet de reprendre de l’altitude. Une heure plus tard, les aéronautes sont au-dessus de Cassis, puis les îles d’Hyères, où une saute de vent les pousse en pleine mer, alors que la nuit est tombée et le temps exécrable, ainsi que le confiera plus tard Capazza au journal Le Matin. Les conditions de navigation se dégradent au point que les deux hommes doivent se débarrasser de la nacelle et s’accrocher aux mailles du filet qui enserre le ballon. Ils se pensent perdus, lorsqu’ils aperçoivent la lumière d’un phare, probablement celui des îles Sanguinaires, au large d’Ajaccio. Après un rude atterrissage, ils sont secourus par un berger qui leur offre l’hospitalité pour la nuit. Le lendemain matin, ils se rendent à Ajaccio, annoncer leur succès et demander de l’aide afin de ramener leur ballon.

À Marseille, on demeure plusieurs heures sans nouvelles et l’on entrevoit déjà le pire. « Avons atterri. Ballon en bon état », telle est la teneur de la dépêche parvenue dans la cité phocéenne en ce début d’après-midi du 15 novembre. Le lendemain et les jours suivants, la nouvelle de la réussite de la traversée est annoncée tant dans la presse locale, insulaire et marseillaise, que nationale.

Fondère fera une brillante carrière coloniale, il décédera le 26 novembre 1930 à Addis-Abeba. Capazza, pour sa part, continuera ses travaux et ses expériences et s’illustrera, entre autres, en inventant un parachute et en réalisant la première traversée de la Manche avec le Morning Post, premier dirigeable anglais (20 octobre 1910). Il sera notamment membre de l’Aéro-Club de France, vice-président de l’Association Française de Navigation Aérienne et membre fondateur de l’Aéroclub de Belgique. Il meurt le 28 décembre 1928.

Le monument

Si, pendant plus d’une quarantaine d’années, aucun monument ne vient rappeler la prouesse des deux aéronautes, vers la fin des années 1920, dans un contexte d’exploits sportifs aériens, symbolisés par la traversée de l’Atlantique de Lindbergh, le temps est propice à la mise à l’honneur des pionniers. En octobre 1928, a lieu l’inauguration d’un monument près d’Appiettu, en présence de Capazza. L’année suivante, à Paris, est apposée une plaque rappelant son invention d’un parachute en 1892, Fondère participe à la cérémonie. Dès lors, Marseille ne pouvait faire moins que de commémorer les héros, d’autant que, en 1929, à l’initiative de Zabeth Capazza, sa fille, se constitue un comité Capazza-Fondère dans le but de réaliser un monument en leur honneur. Le ministère de l’Air, le Conseil général et la Chambre de Commerce des Bouches-du-Rhône, l’Aéro-Club de France, et les municipalités d’Ajaccio, de Bastia et de Marseille apportent leurs concours financiers. La réalisation du monument est confiée au sculpteur Louis-Marcel Botinelly et à l’architecte Gaston Castel, dont c’est la première collaboration. Le premier, Médaille d’or du Salon (1928), a déjà réalisé à Marseille, entre autres, les Atlantes du Parc Chanot ainsi que les statues représentant les colonies d’Afrique et d’Asie de part et d’autre du dernier palier de l’escalier de la gare Saint-Charles. Le second, Grand Prix de Rome (1913), est alors architecte en chef des Bouches-du-Rhône, avec à son actif, notamment, le Monument aux morts de l’Armée d’Orient et des terres lointaines et la reconstruction de l’opéra municipal.

Dans les semaines précédant l’évènement, la presse nationale et marseillaise, en particulier Le Petit Provençal, revient sur l’exploit des deux aéronautes. Le monument, dont la polychromie d’origine a disparu, se dresse sur le mur postérieur du centre paroissial arménien qui fait le coin de la place Jean Jaurès et de la rue Sibié, à l’endroit même d’où le ballon s’envola. Sous les têtes des deux aéronautes de profil, figure la silhouette du Gabizos ainsi qu’un texte rappelant leur exploit. L’inauguration a lieu le 16 novembre 1930, sous la présidence d’honneur du président du Conseil André Tardieu, du Maréchal Lyautey, du ministre de l’Air et en présence de personnalités, de la famille de Capazza et d’une foule nombreuse ; l’ingénieur et pilote allemand Hugo Eckener, qui l’année précédente avait réalisé le premier tour du monde en dirigeable, invité, ne put se déplacer et s’excusa. Arrivés entre-temps, les aviateurs Dieudonné Costes et Maurice Bellonte y déposent une gerbe de fleurs. Malgré l’écho incontestable que reçoit l’hommage à Capazza et Fondère, il semble bien noyé dans les festivités données en l’honneur de Coste et de Bellonte qui, quelques semaines auparavant, viennent de réaliser la première traversée de l’Atlantique nord sans escale dans le sens est-ouest. En revanche, les cérémonies du cinquantenaire de la traversée, en novembre 1936, connaitront un succès populaire considérable ; ce qui ne sera pas le cas lors du centenaire passé quasiment inaperçu. Outre le monument, il existe dans le IVe arrondissement de Marseille deux rues qui leurs sont dédiées, l’une portant le nom de Capazza et l’autre celui de Fondère.

Bibliographie

Louis Capazza, Traversée de la Méditerranée en ballon, Bruxelles, Charles Rosez Éditeur, 1899.

Pierre Gallocher, « Marseille à la conquête de l’air » in Marseille, zigzags dans le passé, tome I, Marseille, Tacussel, 1984, p.163-167.

Alain Mori, Louis Capazza, héros Corse de l’aéronautique, Bastia, Anima Corsa, 2010.

Michel Sansonetti, « L’exploit de Louis Capazza » in Francis Pomponi (dir.), Le Mémorial des Corses, tome 3, Ajaccio, 1982, p.384-387.

Presse nationale et régionale, novembre 1886, janvier 1929-décembre 1930.

Rey, Didier