La baie de Monaco


La baie de Monaco

Circuit de formule 1 aidant, la Principauté de Monaco est connue comme une des capitales mondiales des sports mécaniques. Mais le mariage entre la cité monégasque et les sports mécaniques a d’autres ancrages, moins connus, voire méconnus. Sa baie a ainsi été un des creusets du « canotisme automobile » à la Belle Epoque.

Dans le sillage de la voile

L’histoire sportive de la baie commence dans les années 1860. Elle est supposée avoir accueilli ses premières régates en 1862. Un quart de siècle plus tard, douze Monégasques, bénéficiant de l’appui du prince Charles III, fondent la Société des Régates (1888). La ville jouit alors d’une réputation croissante de belle villégiature, grâce au cadre azuréen bien sûr, mais aussi, pratiquement parlant, grâce à la récente à desserte ferroviaire et au travail de promotion effectué par la Société des Bains de Mer de Monaco (1863). La Société des Régates profite de ce contexte favorable et organise avec succès des fêtes sportives distinctives. La baie devient le théâtre habituel de régates à la voile et autres courses à l’aviron.

Héritier de cette société, le Yacht Club de Monaco (1953) poursuit aujourd’hui l’œuvre engagée dans les années 1880. Néanmoins, au tournant des XIXe et XXe siècles, la réputation sportive de Monaco est bien moins due à la voile – elle se résume à des défis entre riches propriétaires de voiliers et de yachts – qu’à un autre sport, qui gagne en notoriété depuis ses prolégomènes, en 1894.

Dans l’air du temps

Ce sport, réservé aux seules élites en mesure d’acheter et d’équiper un canot, sert de banc d’essai aux marques automobiles et aux fabricants de moteurs. Il a pris ses marques entre Nice, Paris et la Normandie. En 1904, il trouve un lieu d’élection à Monaco, avec le lancement des régates de l’International Sporting Club (ISC).

Le principe de ces régates naît l’année précédente dans l’esprit de Camille Blanc. Président de la Société des Bains de Mer de Monaco et de l’ISC, administrateur de casinos et maire de Beausoleil, ce féru de sports assiste alors à la première de Paris à la Mer, une épreuve de canots courue entre Paris et le littoral normand, par la Seine. Conquis, il imagine un meeting à Monaco pour ponctuer la saison. Il conçoit un projet avec Georges Prade, journaliste au Vélo et à La Vie au Grand Air, et Charles Faroux, polytechnicien passé au journalisme dans L’Auto et La Vie automobile (il deviendra représentant monégasque auprès de la Fédération internationale de motonautisme en 1908 et premier directeur de course des 24 Heures du Mans en 1923). Leur idée consiste à associer un salon – pour attirer les industriels – et des courses dans la baie de Monaco.

Ayant reçu la bénédiction d’Albert Ier de Monaco, Camille Blanc monte un comité d’organisation où siègent, entre autres, Henri Desgranges, le patron du principal quotidien sportif L’Auto – qui fera force publicité au meeting – et le sénateur Gustave Gobron, un des premiers soutiens du projet.

Première édition

Le 22 mars 1904, trois jours après l’inauguration du salon par le prince, les canots déjà éprouvés et réputés s’emparent de Port Hercule, à côté des prototypes qui n’ont pas été confrontés aux situations de course. Les épreuves exigent une mer d’huile pour éviter les accidents. Mais même si tel est le cas, se lancer tient de l’aventure, du pari, et la presse parle d’ailleurs des « Robinson Crusoé du yachting » (La Presse, 23 mars 1904).

Vient la course. Le programme comprend sept jours de régates pour racers et cruisers de différentes tailles et cylindrées, puis des épreuves du miles et du kilomètre.

Dans la presse nationale et locale, les superlatifs fleurissent pour dire le caractère grandiose du raout ; l’exposition de sociabilités fortunées ; l’ambition, le succès et la richesse au sens propre et figuré des épreuves (avec 100 000 francs de prix, les courses monégasques sont les mieux dotées du circuit) ; les victoires de moteurs français (Delahaye, Peugeot, Panhard…), enfin l’image de ban technologique du meeting.

Le rendez-vous monégasque s’impose aussitôt comme la référence ultime pour tout ce qui touche aux « moteur boats ».

Un rendez-vous majeur et innovant

Malgré la multiplication des épreuves en France et en Europe, Monaco garde sa réputation d’excellence. Ses régates constituent un rendez-vous mondain prisé. Des têtes couronnées les honorent de leur présence, comme l’infante Eulalie d’Espagne brisant le champagne sur l’étrave du racer Sigma IV en 1913. « Sous le soleil splendide » de Monaco, le règne du high life commande à la réunion des « foules considérables » (Le Gaulois, 8 avril 1909).

Le salon reste une importante vitrine industrielle, sans vraie concurrence sinon celle, sporadique, des salons de Budapest (1907), de Berlin (1909) et, chaque année, de la petite section des canots lors des salons parisiens. Il reflète un enjeu technologique qui est d’autant mieux promu par la presse qu’il est servi par la présence de pilotes réputés, comme l’industriel Émile Dubonnet, sportsman éclectique et émérite, qui pilote Le Titan, puis Le Vonna, deux embarcations qu’il a construites avec son frère Marius, sur une motorisation Delahaye.

Quoique le nombre de participants chute légèrement au fils des ans – 53 bateaux en 1904, 106 en 1905, 75 en 1907, 67 en 1908 – aucun autre plateau n’est comparable. Mais le fait est que les constructeurs étrangers se font plus rares. Pourquoi ? Parce que la suprématie des coques et des moteurs conçus en France réfrène leur envie de concourir. Monaco n’en reste pas moins la capitale de la vitesse sur mer. La meilleure performance de 1904 était de 37 km/h. En 1914, lors des essais, le racer-glisseur Sigma-Despujols court le miles à 98,5 km/h, cependant que les cruisers, bien plus lourds, dépassent les 80 km/h. Quant à la diversification des démonstrations et des engagements, elle permet de compenser la petite perte d’attractivité des seuls canots. En 1907 on voit ainsi concourir pour la première fois un hydroplane, celui du comte Lambert. En 1913, 17 hydroaéroplanes biplans et monoplans animent la première Coupe d’Aviation maritime l’Aéro-club de France ; laquelle est dès lors étroitement associée au meeting de canots.

Ce pas de côté vers l’aéronautique, voulu par Camille Blanc pour relancer l’attractivité du rendez-vous monégasque, permet la venue de nouvelles marques qui gagnent très vite en prestige – tels Farman, Nieuport, Bréguet… –, de pilotes vedettes comme Roland Garros et, pour finir, d’un public sans doute plus large et populaire que celui des seuls canots.

Une mode spécifique à la Belle Époque

Les régates monégasques reprennent après-guerre et jusqu’en 1923 ; mais sans le succès d’avant-guerre, ce qui permet de dire que l’Âge d’or du motonautisme s’est pour l’essentiel joué dans la baie d’Hercule entre 1904 et 1914, même si depuis lors il lui est arrivé d’accueillir des compétitions de speed boats aux performances évidemment incomparables avec celle de leurs glorieux ancêtres.

Bibliographie

Blanc-Chabaud Y., Monaco. Naissance d’une vocation sportive, 1862-1939, Monaco, Sportel, 1999.

Forest F., Les canots automobiles, Paris, H. Dunot & E. Pinat, 1906.

Guétat G., Canots automobiles : l’âge classique 1916-1939, Boulogne-Billancourt, ETAI, 1995.

Labarrère A. (Yachting et progrès technologique à Monaco, Monaco, Éd. Yacht Club de Monaco, 1994.

Labarrère A. (dir.), Monaco, port des princes, Monaco, Yacht Club de Monaco, 1996.

Tétart Ph., « Nice-Monaco : au cœur de la mode des moteurbots (1894-1914) », Actes du colloque sur le patrimoine sportif de Nice.

Tétart, Philippe