Le sentier Blanc-Martel

Le sentier Blanc-Martel

Lieu majeur de la randonnée pédestre des Gorges du Verdon dans le département du Var, le sentier Blanc-Martel relève à la fois du site naturel et du patrimoine sportif aménagé. En effet, contrairement à la plupart des sentiers qui reprennent les tracés utilisés depuis des siècles par les bergers, soldats, pèlerins, colporteurs et voyageurs en tous genres, le fond des gorges du Verdon n’était pas un lieu de passage avant son aménagement par le Touring club de France (TCF) en 1929.

Un sentier à créer

Pour permettre de rallier le Point sublime en longeant le Verdon depuis le sentier descendant du chalet de la Maline, il faut aujourd’hui emprunter de nombreux équipements aménagés dont les plus connus sont les escaliers permettant de descendre de la brèche Imbert (252 marches) et le tunnel de Trescaïre (110 mètres de long). Les premiers ont été bâtis grâce au TCF, le second a été réalisé au cours d’un chantier visant à dériver les eaux du Verdon.

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la voie de circulation principale était le chemin entre Moustiers et Castellane, désigné sous le terme de voie romaine et qu’emprunte encore aujourd’hui en grande partie le GR 4. Il passe à proximité de Châteauneuf mais nettement au nord de Rougon et La Palud.

La construction de la route, passant cette fois par Rougon et La Palud, a permis un développement modeste du tourisme mais les voyageurs se cantonnaient aux hauteurs et ne descendaient pas en contrebas. À cette époque, ce sont les projets d’exploitation hydraulique qui suscitent le plus d’intérêt dans la région. Les premiers travaux devant déboucher sur la construction d’un barrage à l’entrée des gorges ont débuté en 1890. Les tunnels empruntés par l’actuel sentier ont été creusés à cette époque. Le premier aménagement du fond des gorges a été fait pour permettre une dérivation des eaux et non pour la randonnée.

Premières explorations

Il a fallu attendre 1905 et l’expédition menée par Alfred-Edouard Martel et guidée par Isidore Blanc pour que la traversée complète des gorges soit effectuée. Spéléologue expert, membre de nombreux organismes scientifiques et sportifs, Martel avait été mandaté par le ministère de l’Agriculture pour étudier les eaux de la source de Fontaine l’Évêque.

Après avoir étudié les avens des plateaux proches de la source, il décida d’explorer les gorges. Il a pour cela bénéficié de l’aide des villageois, notamment de l’instituteur de Rougon, Isidore Blanc, recruté comme porteur sur les conseils d’Armand Janet, l’un des compagnons de Martel.

Cette traversée s’est révélée être davantage une expédition, alternant navigation et marche, qu’une randonnée sportive. Il a fallu 4 jours pour parvenir à la sortie des Gorges après de nombreuses péripéties.

Martel a publié le compte-rendu de sa première expédition dans diverses revues. Si ces articles n’ont pas attiré des foules de nouveaux explorateurs, ils ont néanmoins suscité l’attention du Touring club de France, association fondée en 1890 dans le but de promouvoir le tourisme « au grand air ».

Premiers aménagements

En 1906, le TCF a débloqué 3000 francs pour aménager un sentier permettant l’accès au fond des Gorges. Il partait du hameau de Maireste pour rejoindre la rivière. En septembre 1908, la Revue mensuelle du TCF mentionne qu’une passerelle est actuellement en construction au bas du sentier de « Mayreste ». Elle permettra de traverser la rivière et d’ « accéder à une piste qui la remonte (rive gauche) sur 4 kilomètres ». L’auteur de l’article se désole à propos des Gorges en trouvant qu’il est « fâcheux qu’on ne puisse les suivre aisément dans toute leur longueur et que les sentiers aboutissant à l’entrée et à la sortie du canon principal ne soient pas raccordés l’un à l’autre ». À partir de cette date, l’accès au fond des gorges est possible et recommandé par le Guide bleu.

L’exploit de Martel et Blanc n’a cependant pas été renouvelé avant 1922. Cette année-là, Louis Henseling, directeur de la Bibliothèque municipale de Toulon, descend l’intégralité des Gorges guidé par Isidore Blanc et accompagné des porteurs de l’expédition de 1905. Il y retourne ensuite tous les étés jusqu’en 1937, avec des membres des Excursionnistes toulonnais ou du Touring club de France.

L’exploration des gorges a suivi la tendance générale : la tenue des randonneurs est devenue plus légère et plus confortable. Les excursionnistes ont de moins en moins fait appel à des porteurs, chaque marcheur portant son équipement sur son dos. Le trajet pouvait donc être parcouru plus rapidement.

Un sentier au fond des gorges

Ce regain d’intérêt et d’activité a provoqué un nouvel élan des dirigeants du TCF qui se sont de nouveau penchés sur l’aménagement du Grand Canyon du Verdon en 1928. Après une conférence de Martel en janvier, plusieurs dirigeants partent explorer les gorges au mois de mai. Tous ces événements ont été médiatisés : article dans L’Illustration en 1928, réalisation d’un film la même année et, bien sûr, publications de reportages dans la revue mensuelle du TCF.

Après une première phase de communication, l’aménagement véritable a pu démarrer l’année suivante. La Palud ayant succédé à Rougon comme base des expéditions, il a fallu tout d’abord relier le village à La Maline, puis entreprendre les gros travaux. C’est en 1929 qu’ont été construits les escaliers permettant de franchir la brèche et que les tunnels ont été consolidés. L’inauguration eut lieu un an plus tard, le 27 juin 1930. À cette date, le sentier existe mais ne porte pas encore le nom de Martel.

Une faible fréquentation jusqu’aux années 1970

La longueur du trajet entre les deux villages pouvait toutefois sembler décourageante et le président du TCF a alors envisagé de transformer la ferme Petapardy en gîte d’étape, afin de le scinder en deux étapes. C’est l’actuel Chalet de la Maline, inauguré le 26 juillet 1936.

Les visiteurs ont été peu nombreux dans les années suivantes, la faute à un parcours encore difficile (huit heures entre les deux villages) et à des conditions de séjour spartiates : infrastructures hôtelières inexistantes, absence d’eau potable (hors fontaines publiques) et d’électricité dans des villages touchés durement par l’exode rural.

Après la construction du barrage de Castillon en 1948, le TCF a même déconseillé d’emprunter le fond des gorges à cause des lâchers d’eau qui pouvaient s’avérer dangereux. Avant cela, les crues soudaines de la rivière avaient déjà causé de graves accidents : l’abbé Pascal est mort emporté par l’une d’elles en septembre 1928, au niveau de la Mescla, lieu où les eaux de l’Artuby rencontrent celles du Verdon. Il a fallu attendre la construction d’un autre barrage, celui de Sainte-Croix en 1973, pour voir cesser ce risque. La fréquentation des gorges du Verdon s’est alors accélérée. Le lac nouvellement créé a attiré les touristes, dont la venue était facilitée par le développement de l’automobile ainsi que celui du tourisme de masse, notamment dans le sud-est de la France.

Un lieu majeur du sport en Provence

Aujourd’hui le sentier Blanc-Martel est un itinéraire classique de la randonnée pédestre. En l’empruntant, on suit le balisage rouge et blanc du GR 4, sentier de grande randonnée reliant Grasse à Royan. Ses équipements ont été rénovés récemment (2011 et 2013) pour faire face à l’afflux de visiteurs. L’ensemble des Gorges, classé Grand site de France depuis 1990, attire désormais plus de 800 000 visiteurs par an. D’autres sentiers permettent aujourd’hui de visiter le fond des gorges : sentiers des Pêcheurs et surtout, sentier de l’Imbut-Vidal, plus en aval tous les deux.

Comme dans beaucoup d’autres régions, les marcheurs cohabitent maintenant avec de nouveaux usagers. Le sentier se prête à des pratiques plus rapides comme le trail et la rivière à des sports aquatiques comme le rafting et l’hyrdrospeed. Les vallons alentour sont parcourus par des amateurs de canyoning. L’escalade quant à elle est pratiquée sur les falaises depuis de nombreuses années. Le Parc naturel régional du Verdon et la Ligue de protection des oiseaux sensibilisent toutefois les grimpeurs à la présence des vautours et surtout de leurs nids.

Bertrand, Thierry