Les bains de mer sur la Corniche de Marseille

Les bains de mer sur la Corniche de Marseille

Marseille est un haut lieu de la natation française où réside un des clubs les plus titrés du pays : le Cercle des nageurs de Marseille. Cette renommée sportive forgée à partir des années 1920 trouve ses origines au siècle précédent alors qu’à Marseille, comme ailleurs sur le littoral français, se répand la mode des bains de mer lancée par les Britanniques. Il y a là de quoi surprendre car Marseille n’a jamais eu la réputation d’une station balnéaire. Pourtant, on y a entretenu le rêve de faire de la mer Méditerranée un atout en vue d’attirer des touristes de tous horizons.

Les premiers bains de mer

Le premier établissement de bains de mer de la ville se situe dans l’anse du Pharo. L’initiative revient à un médecin, le docteur Giraudy, ancien chirurgien des armées du Roi établi à Marseille depuis 1782. En 1818, il installe une grande barque aménagée. L’expérience fait néanmoins long feu car la plupart des patients sont victimes du mal de mer. Il décide alors de se poser sur la terre ferme avec l’avis favorable de la Société Royale de Médecine de Marseille. Mais la zone est marécageuse, ouverte aux vents du Nord et envahie par les algues, entraînant la fermeture rapide de l’établissement.

Le docteur Giraudy jette son dévolu sur l’anse d’Arenc où se situait naguère un Lazaret. Il doit faire face à la concurrence d’un riche négociant du nom de Vailhen propriétaire d’un autre établissement récent : les grands bains de la Méditerranée. Le journal Le Sémaphore les décrit le 6 juin 1836 comme « les plus parfaits par leur construction et la pureté de leurs eaux, les seules en Europe où l’on puisse se baigner à la vague à toutes les heures du jour, quelque mauvais temps qu’il fasse ».

D’emblée se pose à Marseille, comme ailleurs, la question de la décence de cette activité qui porte atteinte à la pudeur. L’indicateur du Commerce écrit dès juillet 1822 que « vainement les ordres de l’autorité ont défendu aux nageurs de se baigner sur la côte sans caleçon ou un voile quelconque. Tous les soirs, les environs du port sont peuplés de gens qui, au mépris de toute pudeur, se baignent dans un état de nudité absolue. À cause d’eux le beau sexe est obligé de s’interdire un délassement agréable et devenu nécessaire par les chaleurs dont nous sommes accablés ».

Il n’en reste pas moins que ces deux établissements reçoivent le soutien du corps médical convaincu des bienfaits thérapeutiques des bains de mer, par immersion, affusion, aspersion, ablution ou encore fomentation. Des bains, qui sauf exception, ne doivent pas excéder quelques minutes, une seule fois par jour chez un sujet à jeun. C’est ce que préconise le docteur Robert dans son manuel publié en 1827. Vantant les mérites des deux établissements d’Arenc, il considère que les bains de mer peuvent traiter plusieurs maladies : la tuberculose osseuse et articulaire, la tuberculose ganglionnaire ainsi que le rachitisme chez les enfants, la plupart des affections gynécologiques et l’hystérie chez la femme ou encore la mélancolie, l’impuissance et les maladies imaginaires rassemblées sous le terme d’hypochondrie chez l’homme.

Marseille dispose d’atouts qui, croit-on, lui permettront de rivaliser avec les stations les plus réputées de l’époque. Le docteur Robert écrit en préambule de son ouvrage en une lettre adressée au préfet du département des Bouches-du-Rhône : « Marseille si favorisée par son beau ciel, son climat et son site maritime, croit aujourd’hui pouvoir aspirer à devenir l’heureuse rivale de Dieppe, Boulogne et de Brighton ».

Toutefois, les établissements de bains de mer situés à Arenc sont contraints de cesser leur activité en 1856 en raison des travaux de l’aménagement du port et la construction de bassins. L’activité balnéaire se déplace alors au sud de la ville.

L’essor de la Corniche

La promenade de la Corniche est construite à partir de 1848 ; les travaux se terminent en 1863. La première partie, au sud, est construite entre 1848 et 1851. Le chemin de terre est ensuite prolongé jusqu’à la plage des Catalans entre 1861 et 1863. Cette deuxième portion est plus compliquée techniquement : il faut en effet construire un viaduc au niveau du Vallon des Auffes. Sur près de 5 kilomètres, la promenade s’étend de la plage des Catalans aux plages du Prado. En 1873, une ligne de tramway du boulevard Notre-Dame aux allées du Prado par la Corniche permet de développer le bord de mer. Outre le marégraphe près du Pont de la Fausse Monnaie, qui après douze ans d’observation (du 3 février 1885 au 1er janvier 1897) a permis de définir « l’altitude zéro de référence en France », on trouve le long de la Corniche quelques villas, des hôtels –restaurants ainsi que des établissements de bains de mer. Parmi ces établissements, l’un des plus fameux est celui du Roucas-Blanc (1874-75). Il comporte deux bassins permettant les bains de mer, des salles d’hydrothérapie auxquels s’ajoute plus tard un restaurant. Un médecin est demeure.

Le milieu médical participe d’ailleurs largement à la publicité de l’établissement. On peut ainsi lire dans la livraison de juin 1875 de la revue Marseille Médicale : « nous ne doutons pas de la prospérité future de ce magnifique établissement qui, par la perfection achevée de ses installations et par l’intelligente organisation de ses divers services, répond à un besoin réel et est obstiné à satisfaire aux exigences les plus variées de l’hygiène et de la thérapeutique balnéaire, en hiver comme en été, dans toutes les saisons et par tous les temps ». La même année, on lit dans une brochure de Serenus Partl : « Pendant que les frimas environnent les roches alpines, suisses, tyroliennes et obligent les touristes de se prémunir contre les rigueurs de la température, Marseille, dont le climat est favorisé, promène le luxe de ses équipages et de ses toilettes d’été, dans les splendides avenues du Prado, du Château Borély et le long de ses riantes grèves ».

Plus largement l’établissement mène une campagne de publicités promotionnelles en France mais aussi à l’étranger. Afin de faciliter l’acheminement des clients, un service de transport en voiture à chevaux ou en bateau est assuré entre le quai du Vieux Port et le Roucas-Blanc.

Cet établissement est comme les autres, réservé aux personnes les plus fortunées. Déjà en 1853 la Société́ Impériale de Médecine déplore que « l’artisan et sa famille après une journée laborieuse » ne puisse se rendre aux bains. Elle rappelle les bienfaits préventifs des bains de mer froids « qui devraient être à la portée de toutes les bourses ».

C’est sur un autre lieu de la Corniche, l’anse des catalans, que l’on trouve des bains populaires, ceux du Petit Pavillon établis en 1854. La toponymie de cette anse remonte au XVIIe siècle et renvoie à l’arrivée d’un groupe de pêcheurs catalans installés dans une infirmerie désaffectée. Le nom est resté pour l’ensemble du quartier à proximité du centre-ville (autour du Vieux-Port) et proche de la résidence impériale du Pharo dont la construction est ordonnée par Napoléon III pour l’impératrice Eugénie, dans le cadre d’une politique de construction et de modernisation des infrastructures déjà existantes de la ville.

Il est envisagé de faire de la plage des Catalans un lieu à la mode. Sont établis les bains des Catalans à partir de 1859, après la destruction des ruines des Vieilles infirmeries ; ils sont plus bourgeois que les bains du petit Pavillon voisins. Ils constituent une structure privée de pontons de bois posés sur les rochers et sur pilotis, avec cabines et autres commodités. Un casino devait en faire un des plus beaux ensembles balnéaires d’Europe, mais ce projet échoue.

Le succès des bains de mer ne dépasse pas les limites de la ville. Les touristes ne sont guère au rendez-vous. L’identité balnéaire touristique de la ville ne parvient pas à se construire. En revanche l’identité sportive s’ancre en partie dans cette anse des Catalans. Aux côtés des bains thérapeutiques ou hygiéniques, bains de soleil, se développent en effet des bains sportifs et/ou ludiques.

Les débuts de la natation en mer

À la fin du XIXe siècle, on assiste à Marseille à une multiplication des compétitions et à l’institutionnalisation de la natation suivant une dynamique hexagonale. La Commission natation de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques est ainsi créée en 1889, reprenant les règles établies par l’Amateur Swimming Association anglaise. Dans le sillage des épreuves de natation inscrites au programme des premiers Jeux olympiques de l’ère moderne en 1896, des premiers championnats de France se tiennent en 1899. Entre 1900 et 1914 la natation devient un spectacle populaire.

À Marseille, dans les années 1890 le journal Soleil du Midi organise les premières courses officielles aux Catalans.

La presse locale est souvent à l’initiative de ces compétitions auxquelles elles donnent grande publicité. Les lecteurs, dont très peu bravent encore « l’humide élément » sont sans doute impressionnés par la performance des nageurs qui à l’instar des deux seuls qui, selon le récit de Massilia (1er septembre 1909) « eurent le courage de terminer » le championnat des 4000 mètres dans « une mer démontée ». L’histoire de ces compétitions locales restent encore largement à faire tout autant que celles des clubs. On assiste en effet à la création de sections natations dans un certain nombre de clubs omnisports, comme l’Union sportive phocéenne, le Sporting Victor Hugo, l’Olympique de Marseille ou encore Étoile sportive phocéenne que l’on dit « imbattable » en ce début de siècle. Tous développent leur activité dans le cadre des établissements de bains de mer. Le Chevalier Roze Sport, fondé en 1909, s’installe pour sa part au pied du fort Saint-Jean.

Après la Première Guerre mondiale et la création en 1920 de la Fédération française de natation et sauvetage, la première Coupe de Noël est organisée à Marseille, le 25 décembre, par le district de Provence. La presse indique que des milliers de spectateurs se pressent autour du Vieux-Port pour encourager par une température de -2 à 5 degrés la quinzaine de nageurs plongés dans une eau qui ne dépasse pas les 10 degrés.

Le long de la Corniche, dont le nom rend hommage du Président américain John Fitzgerald Kennedy depuis 1963, l’activité balnéaire revient en force dans les années 1960 avec l’avènement d’une culture des loisirs, grâce notamment à l’aménagement de grandes plages au Prado. La natation sportive revient en mer en 1999 avec le défi Monte Cristo, une épreuve inspirée de la célèbre évasion dans l’œuvre d’Alexandre Dumas. Réunissant plus de 4000 nageurs amateurs, la compétition se présente comme « le plus important rassemblement grand public de la natation en mer ».

Bibliographie

« Le littoral du golfe aux calanques », Marseille. Revue culturelle, n°178, 1996.

« Plaisir de la mer », Marseille. La revue culturelle de la ville de Marseille, n°202, 2003.

« Le sport à Marseille », Marseille. La revue culturelle de la ville de Marseille, n°208, 2005.

Andrieu Bernard, Bien dans l’eau. Vers l’immersion, Biarritz, Atlantica, 2010.

Aziza Judith, Une histoire de Marseille en 90 lieux, Marseille, Editions Gaussen, 2019.
François George, Bains de mer sur ordonnance à Marseille, Association des amis du Patrimoine Médical de Marseille.

Kourilenko Jean-Luc, Bains de mer et convenances de la Belle époque à nos jours, Tours, Éditions Sutton, 2017

Pic Raphaël, Balnéaire : une histoire des bains de mer, Paris, Little Big Man éditions, 2004

Robert Louis-Joseph-Marie, Manuel des bains de mer sur le littoral de Marseille, Marseille, 1827.

Terret Thierry, Naissance et diffusion de la natation sportive, Paris, L’Harmattan, 1994.

Vigarello Georges, « hygiène du corps et travail des apparences » in Corbin Alain, Courtine Jean-Jacques, Vigarello Georges (dir.). Histoire du corps, t. 2 De la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Le Seuil, 2005, p. 299-312.

Mourlane, Stéphane