L’escalade à Saint-Jeannet

L’escalade à Saint-Jeannet

Niché au pied du Baou, Saint-Jeannet est un petit village des Alpes-Maritimes de 4071 habitants. Ce rocher escarpé a joué un grand rôle dans l’histoire du village, en protégeant les hommes des attaques. Il est ensuite devenu un site d’escalade composé de grandes voies et de voies-écoles. La « Vieille dame », dénommée ainsi par de nombreux topo-guides, est un site très fréquenté car proche de Nice. Terrain de jeu des grimpeurs « avertis », le Baou en est devenu une référence !

Un village frontière devenu terrain de jeu de sportsmen et grimpeurs

Le développement de Saint-Jeannet, à la fin du XIXe siècle, bénéficie de l’amélioration du réseau routier, de la construction d’une voie ferrée en 1893 et de mise en place de l’adduction d’eau. Le Baou qui surplombe le village est constitué de roches calcaires, de type jurassique. Le site se caractérise aussi par un chevauchement engendré par la tectonique alpine. Situés à 802 mètres d’altitude dans le périmètre du Parc des Préalpes d’Azur, le village et son secteur naturel sont devenus des territoires réputés pour la randonnée et surtout l’alpinisme du fait des influences étrangères. En effet, pris de liberté et d’individualisme, une nouvelle bourgeoisie en quête d’ascension sociale trouve dans le sport son exutoire et un véritable mode de vie. Ces sportsmen britanniques s’exilent vers les Alpes, afin de concrétiser leurs aspirations, et inventent l’alpinisme, dont découle directement l’escalade. Ce sont notamment, les Tyndall, Wills et Whymper, qui ouvrent les premiers passages vers les plus hautes cimes. En France, en revanche, l’escalade est plutôt perçue comme un entraînement à l’alpinisme.

Un site précurseur de la grimpe dans les Alpes-Maritimes

À l’instar du Chevalier de Cessole, alpiniste azuréen pionnier de la découverte de nombreux massifs dans les Alpes du Sud, les premiers pratiquants s’initient à la grimpe dès la fin du XIXe siècle. Saint-Jeannet devient l’un des sites privilégiés de la Côte d’Azur, par le nombre de grandes voies et blocs. Souvent, elles ne sont ni numérotées ni indiquées, ce qui les distingue de sites comme la Tête de Chien à la Turbie.

À Saint-Jeannet, il existe trois secteurs principaux : « la grande face » (50 voies) est considérée comme un lieu d’aventure ; « les ressauts » (300 voies) associent grandes voies et voies d’escalade, et enfin le secteur « aux sources » (165 voies) mêle voies d’escalades et voies-écoles.

En 1939, les alpinistes Gurekian, Imbert et Kogan viennent s’entraîner sur les grandes voies. La falaise de 300 mètres offre toutes les caractéristiques et les conditions d’une ascension longue, mais aussi risquée. Quelques mois plus tard, le 24 novembre 1940, trois grimpeurs, Marcel Malet, Barthélemy Martin et G. A. Lentulo, décident d’ouvrir une voie dans la grande face du Baou. À l’époque, Malet et ses collègues, s’engagent dans cette voie et ignorent encore qu’un bloc s’apprête à se détacher entraînant Martin dans le vide, mais il est heureusement assuré solidement par Malet et Lentulo. Un drame a failli se jouer sur la Malet ! Une plaque honorant Malet se trouve au sommet de cette voie « historique » dont la cotation est D+ 5c>5b II P2.

Peu avant les années 1950, l’équipe de l’École d’escalade de Nice, notamment composée de Curigan et Dufranc, s’entraîne à Saint-Jeannet. Puis, d’autres grimpeurs comme Terray, Demaison et Rebuffat viennent pour préparer une expédition ou une première. Certains parmi eux choisissent d’y habiter au milieu de villageois, qui les prennent pour des fous.

Une démocratisation et une institutionnalisation de la grimpe en marche

En France, dès les années 1970, c’est le moment où la pratique de l’escalade croît sous les effets de l’institutionnalisation et du début de la marchandisation du sport. En 1981 est organisé à Chamonix un colloque sur l’escalade de haut niveau dont les objectifs sont divers : « poser les ambitions relatives à l’instauration d’un brevet professionnel spécifique à l’activité », mais aussi « amorcer le débat à propos de la compétition ». Par ailleurs, le phénomène de l’escalade libre a pris une telle ampleur que le comité directeur de la Fédération française de la montagne (fondée en 1945) opte pour la création d’une commission spécifique, qui, à partir de 1982, exprime les revendications des pratiquants au sein des institutions. Cette commission est constituée de représentants d’association, mais aussi de figures marquantes de l’escalade, l’ancienne génération, comme Jean-Claude Droyer, et bien sûr la nouvelle, parmi laquelle Patrick Edlinger. À la fin des années 1980, l’escalade acquiert un statut plus important, la Fédération française de la Montagne devient Fédération française de la Montagne et de l’Escalade.

Le Baou devient un lieu très fréquenté dans les années 1980 grâce à la médiatisation des ascensions de Berhault et Edlinger, mais aussi grâce aux topo-guides, dont celui de Michel Dufranc qui recense secteur par secteur l’ensemble des voies. Cette cartographie des voies, adossée à une volonté de faciliter la démocratisation de la pratique, n’empêche pas les accidents . La toponymie des voies porte l’empreinte de la dangerosité de la pratique et pas seulement sur les parois du Baou. Ainsi, la voie de la Loco (escalade libre en cheminée) rend hommage dès 1976 à Gérard Fighiera, conducteur de train mort durant l’ascension d’une voie à la Tête de Chien. Consciente de ces problèmes, la préfecture installe un poste d’alerte à l’Auberge de Saint-Jeannet. Face à l’influence du tourisme sportif, la municipalité tente aussi de sécuriser la pratique.

Durant les années 2000, les collectivités publiques financent l’aménagement et la sécurisation des voies d’escalade et du sentier d’accès. Sur le site de Saint-Jeannet, il semble qu’il y ait aussi une certaine diversité d’approche parfois source de conflits, mais aussi de rencontres. La philosophie de grimpe peut en effet différencier voire opposer anciens et modernes. Par exemple, le secteur « aux sources » marque une rupture entre tenants de l’escalade. Tandis que les anciens le considèrent comme étant trop « musculaire », les tenants de la grimpe moderne apportent grâce à leur technique en salle une autre philosophie à la grimpe. Ce sont des « grimpeurs moulinettes », qui montent, descendent et remontent inlassablement, notamment au sein du club Baou escalade.

Finalement, si les voies de Saint-Jeannet se caractérisent par l’éloignement entre chaque spit et parfois par l’émiettement de la roche calcaire, les exploits des pionniers Revel, Dupeurle, Franco, Gautier, Malet, Pourpe, Lentulo, Marien, Kogan, et Biquelle et plus récemment Berault et Edlinger en font un lieu qui marque de son empreinte l’histoire de la grimpe dans les Alpes-Maritimes.

Bibliographie

Bricola Michel, Montagne et alpinistes des Alpes-Maritimes, Breil-sur-Roya, Les Éditions du Cabri, 1988.
Dufranc Michel, Escalades au Baou de Saint Jeannet, Alticoop Éditions, 1991.

Sitographie

Escalade grandes voies au Baou de Saint-Jeannet : la Super Malet et les 3 niches — Guides 06

http://alpessudnet.free.fr/grimpe/baou01.html

Derai, Jean-Paul