Le Stadium de Vitrolles

Le Stadium de Vitrolles

« Un carré noir sur fond rouge », telle est la description laconique faite par Rudy Ricciotti, son architecte, de la salle omnisports de Vitrolles, baptisée le Stadium et inaugurée en grande pompe en 1994, avant d’être rapidement abandonnée dès l’an 2000. Construite au milieu d’une ancienne décharge de bauxite, ce grand bâtiment noir en forme de boîte carrée pouvant accueillir plus de 5000 personnes, créé une rupture avec le paysage et symbolise encore aujourd’hui les stigmates d’un échec et une blessure pour de nombreux Vitrollais.

Une salle omnisports

Durant la campagne des élections municipales de 1989, le maire socialiste Jean-Jacques Anglade promet la création d’une salle de musique et de sports pour Vitrolles. La municipalité décide de l’installer à plusieurs kilomètres à l’est du centre-ville, sur le plateau de l’Arbois dans une ancienne décharge de bauxite puis lance le concours en vue de sa conception. Rudy Ricciotti, architecte peu connu à cette époque, le remporte avec un projet de salle prenant la forme d’un monolithe en béton de 6000 m² inscrit dans le paysage aride de la décharge. Les travaux durent jusqu’en 1994 et le Stadium est inauguré par un concert du groupe de rap marseillais IAM. Il devient également l’antre de l’Olympique de Marseille Vitrolles, un club de handball fondé à la suite de la fusion de la section handball du Stade marseillais Université Club (SMUC) et du Vitrolles HB en 1989 puis racheté par Jean-Claude Tapie, le frère de Bernard Tapie, qui l’associe à l’Olympique de Marseille en 1991 pour en faire un club de stars pourvu d’un gros budget. Les premiers matchs de ce nouveau club se déroulent au Palais des sports de Marseille où il remporte de beaux succès tant sur le plan national qu’européen. Dès la saison 1991/1992, le club, entraîné par Philippe Bana, se hisse à la seconde place du championnat ainsi qu’en finale de la Coupe de France où il s’incline à chaque fois face au HB Vénissieux. La saison suivante, l’OM Vitrolles termine deuxième du championnat derrière l’USAM Nîmes, mais remporte la Coupe de France et la Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe face au club hongrois de Veszprém. Emmenés par les meilleurs joueurs français de l’époque, composant la fameuse équipe de France des « Barjots » tels que Philippe Gardent, Jackson Richardson, Frédéric Volle ou encore Éric Quintin, vice-champions du monde en 1993, ainsi que par des internationaux étrangers de renoms comme l’arrière droit serbe Slobodan Kuzmanovski, l’OM Vitrolles intègre le Stadium en favori du championnat et sérieux prétendant au titre en Ligue des champions sans toutefois remporter la compétition.

Au cœur des luttes politiques

Le projet de Stadium est rapidement décrié par « les élus de gauche, de droite, les écolos, les cultureux, tout le monde était d’accord pour détester cet endroit » tranche Rudy Ricciotti. Il se retrouve donc au cœur des polémiques politiques des années 1990 alors que la ville de Vitrolles alimente l’actualité politique puisque le Front national y réalise de bons résultats électoraux. Le parti d’extrême droite y obtient en 1995 son meilleur score aux élections municipales pour une ville de plus de 30 000 habitants, avec plus de 43 % des voix au premier tour pour la liste conduite par Bruno Mégret. Le Front national remporte finalement la municipalité, en 1997, après l’annulation du précédent scrutin pour fraude électorale de la part de Jean-Jacques Anglade. Inéligible pour dépassement de frais de campagne, le candidat Bruno Mégret cède sa place à sa femme Catherine qui devient maire de Vitrolles. Cette dernière pointe alors du doigt le Stadium, responsable, selon elle, d’attirer la population des quartiers nord de Marseille dans la ville. Durant cette période, de nombreuses associations culturelles et sportives se mobilisent contre le Front national. Les handballeurs de l’OM Vitrolles ont également pris position contre le parti de Jean-Marie Le Pen. Ce changement de municipalité entraîne en effet d’importantes coupes dans les subventions aux associations culturelles et sportives. Dans ce contexte, le Stadium est délaissé les années suivantes. En 1998, toutefois, le couple Mégret, qui nourrit des ambitions politiques nationales, décide d’organiser un concert de rock identitaire qui provoque un tollé. Point d’orgue de la polémique : un militant antifasciste sabote le groupe électrogène à l’explosif le matin du concert. Le Stadium vit alors ses dernières heures.

L’abandon

Le Stadium est rejeté par de nombreux Vitrollais et n’attire plus autant de personnes qu’à ses débuts. Il participe aussi de la chronique vitrollaise désormais régulière dans les médias nationaux. Initialement salle de concert et de sports, il est, à partir de 1996, exclusivement réservé aux concerts en raison de la disparition du club de handball local. Les importants investissements consentis n’ont pas les effets escomptés, car la couverture médiatique est alors bien moindre que pour le football. En outre, en 1993 l’affaire du match de football truqué entre Valenciennes et l’Olympique de Marseille éclabousse, par ricochet, le club de handball, dont les intérêts sont intimement liés à son homologue du ballon rond. Les difficultés économiques apparaissent alors dès 1994, le club peine à payer les joueurs, qui se mettent en grève car « les salaires ont commencé à tomber avec du retard, puis plus du tout, dans une atmosphère générale houleuse » se souvient Éric Quintin dans un entretien donné au Figaro en 2019. L’OM Vitrolles remporte ses deux derniers titres en Coupe de France en 1995 puis en championnat en 1996 avant de déposer le bilan avec un déficit de plusieurs millions d’euros. Le club est rétrogradé administrativement en troisième division et les stars s’en vont. Il ne s’en relèvera jamais. Privée d’une partie de son utilité, la salle perd grandement en intérêt et cesse progressivement ses activités jusqu’à un abandon complet décidé par la municipalité en l’an 2000. Délaissée durant de nombreuses années, la salle est occupée par des gens du voyage et réappropriée par des adeptes de l’exploration urbaine, ou urbex, ainsi que des graffeurs. Au fil du temps, le « cube » noir est alors recouvert de tags et les lieux se détériorent. Face à ce gâchis, quelques voix cherchent à se faire entendre pour sauver cet élément du patrimoine, emblème du style architectural brut de Rudy Ricciotti, devenu célèbre par la suite, notamment pour avoir conçu le Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem), inauguré à Marseille en 2013. De nouveaux projets sont à l’étude dans les années 2010 pour donner une nouvelle vie au Stadium. Les coûts de remise en état sont élevés, mais une première étape se profile pour l’été 2022 puisque le festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence y programme un concert de la symphonie n° 2 « Résurrection » de Gustav Mahler. Peut-être l’occasion de faire revivre un lieu désormais inscrit au registre du patrimoine architectural français du XXe siècle ?

Bibliographie

Perrier Gérard, Vitrolles : un laboratoire de l’extrême droite et de la crise de la gauche : 1983-2002, Tarbes, Arcane 17, 2014. Rosada Enzo (dir.), MEFI, le Stadium, Rudy Ricciotti, Arles, Arnaud Bizalion, 2018. Tonka Hubert, « Rouge et noir » : le Stadium à Vitrolles de Rudy Ricciotti architecte, Paris, Sens & Tonka, coll. « Le visiteur », 1995. Urbain Pascal, Le Stadium : 1990-1994, Vitrolles, Rudy Ricciotti, architecte, n° 377, Éditions du CAUE 13, 2017.

Sitographie

Le site internet de l’association La Renaissance du Stadium. URL : https://stadiumdevitrolles.com/

Lombardi, Rémi