Situé autrefois hors des remparts, le pré de foire, ou quartier dit de « floralpra » constitue, de longue date, un lieu symboliquement très important pour les Sisteronais. Il correspond en effet historiquement au centre névralgique de la vie agricole de la ville où se pratiquait le foulage du blé, et où étaient, comme l’indique son nom, organisées les principales activités commerciales de la ville. Devenu en partie la place de la mairie après la Seconde Guerre mondiale, le pré de foire accueille de nombreuses festivités sisteronaises récurrentes ou des événements exceptionnels, comme un concert de Johnny Halliday en 1974 ou en 1981 la célèbre émission de culture générale de FR3 « Les Jeux de 20 heures ». Mais le pré de foire possède également une dimension sportive marquée par la diversité des activités qui s’y sont déroulées de la fin du XIXe siècle à nos jours.
Des sports traditionnels aux sports modernes
Des personnes pratiquant le jeu de boules se retrouvent depuis longtemps sur le pré de foire pour s’adonner, en toute convivialité, à leur activité préférée. Une délibération du conseil municipal, datée d’octobre 1923, nous apprend ainsi que l’association sportive « La Boule Sisteronaise » sollicite auprès des autorités la mise à disposition « d’un terrain communal devant servir de boulodrome ». La municipalité fait droit à cette demande en octroyant un espace « situé entre le cours Paul Arène et l’ancienne batteuse » à condition que le terrain soit accessible à tous les joueurs sans exception et que la mise en état soit exécutée sous la surveillance de l’architecte municipal.
Bien que les jeux traditionnels résistent en Provence à l’avènement des sports modernes, le pré de foire est aussi, à la Belle Époque, le théâtre de parties de football très disputées sous l’égide de l’association sportive « Sisteron-Vélo » créée en 1913 comme société de « sports, tir et préparation militaire ». Ainsi que le nom du club l’indique, on pratique aussi en son sein le cyclisme, et une autre association, « La Pédale Sisteronaise », fait de même dans la commune. Une délibération de juin 1937 nous apprend d’ailleurs que la municipalité aimerait voir fusionner les deux entités « qui en combinant leurs efforts aboutiraient sûrement à d’heureux résultats qui permettraient au conseil de faire un effort pour attribuer aux sociétés fusionnées une subvention aussi importante que possible ». Si le football prend une place prépondérante sur le pré de foire, d’autres sports y sont également pratiqués à l’instar du basketball, dont les paniers sont installés à une des extrémités.
Sur cet espace où une partie de la population de Sisteron pratique déjà différentes activités sportives, le premier édile Émile Paret propose, lors du conseil municipal du 31 octobre 1931, d’aménager un stade communal pour l’éducation physique de la jeunesse des écoles et l’usage des sociétés sportives. Il reçoit l’assentiment des autres élus, puis celui de la préfecture. Les travaux débutent en 1933 et se poursuivent l’année suivante. Ce projet du stade ne peut toutefois pas être achevé faute de ressources propres suffisantes de la part de la commune pour une telle entreprise. Un complément de crédits a été demandé sans succès à l’État. Par la suite, la réalisation de cet important équipement sportif municipal n’a pas pu bénéficier de la politique volontariste du Front populaire en faveur du sport pour le plus grand nombre, menée, de 1937 à 1939, par le ministre de l’Éducation nationale, Jean Zay, et le sous-secrétaire d’État chargé des Sports, des Loisirs et de l’Éducation physique Léo Lagrange. En juin 1939, faute de subventions, les travaux de construction du stade sur le pré de foire sont à l’arrêt depuis 1935 et une partie seulement des terrassements nécessaires a été réalisée.
Temps de guerre et régénération par le sport
Après le désastre de la défaite de juin 1940 voit le jour, sous le régime de Vichy, un Commissariat général à l’éducation générale et sportive (CGEGS) dirigé jusqu’en 1942 par Jean Borotra, ancien tennisman ayant appartenu à la glorieuse équipe des « Quatre Mousquetaires » vainqueurs de la coupe Davis, puis par son collaborateur le colonel et ancien rugbyman Joseph Pascot. Dans le cadre de la Révolution nationale, une attention particulière est idéologiquement portée à la régénération morale et physique de la jeunesse française. Certaines photos prises à Sisteron sous l’Occupation témoignent du fait que le pré de foire sert de lieu de démonstration à cet embrigadement de la jeunesse, en particulier lors de la fête de Jeanne d’Arc, au mois de mai, devenue fête nationale sous le régime de Vichy. Plus généralement la vocation récréative et sportive du pré de foire perdure au cours de l’Occupation, et le projet de construire un complexe sportif refait surface en 1941 à la suite de la réception de circulaires du CGEGS visant à promouvoir l’aménagement de terrains scolaires et d’éducation physique. Parallèlement à un recensement du patrimoine sportif existant, le CGEGS annonce un futur programme national de construction d’équipements sportifs avec subventions à la clef, dont la municipalité de Sisteron, désormais dirigée par Paul Daydé, espère bénéficier. D’après les plans dressés par les architectes municipaux et départementaux successifs, il s’agit à présent d’aménager un espace polyvalent comportant un stade dédié au football, mais également des terrains de volley, de basketball, ainsi que des espaces consacrés à la course, au saut ou à la gymnastique, sans oublier la pratique du jeu de boules. Le tout serait complété par un bâtiment destiné à accueillir vestiaires et douches. Le projet est largement promu par le Sisteron-Vélo présidé, de 1943 à 1946, par Daniel Maffren. Ce confiseur de profession sera ensuite adjoint au maire de 1945 à 1977, et un des principaux complexes sportifs municipaux porte aujourd’hui son nom. Au final, le cas sisteronais illustre le fait que, malgré les intentions du régime de Vichy, les diverses activités sportives demeurent très majoritairement pratiquées sur des installations déjà existantes ou très partiellement rénovées. Le stade municipal sisteronais, à la très longue genèse, est finalement construit dans les années 1950 au quartier de Beaulieu, puis rapidement détruit pour être remplacé par le lycée Paul Arène et la piscine municipale. Le pré de foire connaît lui des transformations majeures à la Libération.
Yvan Beck : un footballeur en Résistance
Durant la Seconde Guerre mondiale, et en particulier lors de la saison 1943-1944, le pré de foire voit évoluer l’ancien international de football Yvan Beck comme entraîneur joueur au Sisteron-Vélo. Né Ivan Bek en 1909 à Belgrade, il dispute, en 1930, la première Coupe du monde de football en Uruguay avec l’équipe de Yougoslavie. Ce milieu de terrain offensif marque trois buts et atteint les demi-finales, éliminé par le pays hôte et futur vainqueur de la compétition. En 1928, il rejoint le FC Sète avec qui il remporte la Coupe de France deux ans plus tard, puis fait le doublé coupe championnat en 1934. Il évolue ensuite à l’AS Saint-Étienne (1935-1939) et au Nîmes Olympique (1940-1942) avant de finir sa carrière à l’AS Aix-en-Provence (1944-1945). Naturalisé Français en 1933, il est sélectionné à cinq reprises avec les Bleus entre 1935 et 1937. Cet homme courageux fait par ailleurs acte de patriotisme en dirigeant, sous le pseudonyme de « Tito », la 12e compagnie de FTP du maquis de Bayons, et contribue, en juillet 1944, à la libération des prisonniers de la citadelle de Sisteron.
Une nouvelle place de la mairie théâtre d’événements sportifs
Victime en août 1944 d’un terrible bombardement des Alliés visant à préparer le débarquement de Provence, la ville consacre ensuite de longues années à panser ses plaies. Une partie du pré de foire est alors mis à disposition du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU) pour l’établissement de logements et commerces. L’ancien Hôtel de Ville étant endommagé, il est démoli et une nouvelle maison commune est édifiée sur la partie du pré de foire demeurée en possession de la municipalité. Devenu à la suite de ces réaménagements la place de la mairie, et de son nom officiel la place de la République, le pré de foire, amputé d’une partie de sa superficie, accueille désormais les principales manifestations festives de la ville, parmi lesquelles plusieurs événements sportifs. Située sur la « route Napoléon », la cité de Sisteron est une ville-étape régulière de différentes courses automobiles et cyclistes, qui contribuent à animer le centre-ville. Ainsi à l’occasion de l’édition 1969 de la course cycliste Paris-Nice une importante concentration de voitures anciennes se tient sur l’ancien pré de foire au pied de l’Hôtel-de-Ville. De même Sisteron est souvent, au mois de janvier, ville hôte du rallye automobile Monte-Carlo, et en mars 2017 la place de la mairie a accueilli les voitures anciennes du rallye Monte-Carlo historique. Le vendredi 10 mai 2019, l’ancien pré de foire voit cette fois affluer, comme d’autres artères de la ville, des bolides de Formule 1 dans le cadre du « Renault Roadshow ». Il s’agit d’une grande tournée nationale itinérante, traversant une quinzaine de villes et se déroulant en amont de la 60e édition du Grand Prix de France de Formule 1, programmé, le 23 juin suivant, sur le circuit Paul Ricard du Castellet. Cette course automobile avait en effet fait son retour dans le Var l’année précédente après une décennie d’absence. Les jeunes Sisteronais, comme les plus âgés, se voient ainsi offrir l’opportunité d’admirer d’impressionnantes performances mécaniques, se déroulant sur un circuit spécialement aménagé entre la mairie et la gare. Les spectateurs peuvent aussi rencontrer les pilotes ou passer au volant d’un simulateur de Formule 1 en réalité virtuelle installé au sein du village d’animation situé place de l’Hôtel-de-Ville. Bien que cette manifestation se déroule en semaine, son caractère inédit attire au final plusieurs milliers de personnes.
Une semblable effervescence envahit le pré de foire lorsqu’il se transforme en village départ du Tour de France. Sisteron a accueilli à deux reprises et à dix ans d’intervalle la Grande Boucle. En 2010, cette course cycliste de renommée mondiale part pour la première fois de Sisteron lors de la 11e étape menant le peloton jusqu’à Bourg-lès-Valence dans la Drôme. Débuté par deux étapes disputées à Nice et son arrière-pays, le Tour de France 2020 arrive à Sisteron le 31 août pour en repartir le lendemain. La cité des Alpes-de-Haute-Provence est en effet à la fois la ville d’arrivée de la 3e étape, remportée au sprint par l’Australien Caleb Ewan et au terme de laquelle le Français Julian Alaphilippe s’empare du maillot jaune, et la ville de départ de la 4e s’achevant à la station haut-alpine d’Orcières Merlette. Ce Tour de France 2020 a été exceptionnellement couru du 29 août au 20 septembre à la suite de son report pour cause de pandémie.
Par ailleurs, le pré de foire est encore et toujours le lieu de nombreux concours de boules. Il a ainsi accueilli, du 12 au 14 septembre 1981, le 36e Championnat de France de boules au jeu provençal triplettes. Cette compétition, à l’organisation de laquelle contribue activement « La Boule Sisteronaise », rassemble plus d’une centaine d’équipes venues de tout l’Hexagone, et la finale voit s’affronter deux triplettes varoises de La Seyne-sur-Mer et de Saint-Tropez.
Bibliographie
Jean-Louis Gay-Lescot, Sport et éducation sous Vichy 1940-1944, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1991.
Lucien et Maryse Most, Sisteron dans la première moitié du siècle, Paris, Most, 1995.
Philippe Tétart (dir.), Histoire du sport en France T. 1 : Du Second Empire au régime de Vichy, Le Mans, Université du Mans, 2007.