Le Mont Ventoux


Le Mont Ventoux

Le Mont Ventoux est un haut lieu patrimonial et touristique. Il le doit à sa nature singulière, envoûtante, et au Tour de France. En 2006, 61% de ses 600 000 visiteurs déclarent en effet le connaître grâce à cette épreuve. De fait, le Ventoux est des principaux lieux de mémoire du sport de l’Hexagone.

À pieds, à ski

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, rares sont ceux qui défient le mont. On l’admire de loin, comme un « roi » sur les pentes duquel « le tendre Pétrarque » soupirait « jadis ses vers et ses amours » comme l’écrit Courret de Villeneuve dans son Recueil amusant de voyages en vers et en prose en 1784.

La première ascension recensée date de 1798, mais excursionnistes et alpinistes s’y aventurent surtout à partir des années 1830-1840 ; puis le Club Alpin de Provence (créé en 1875) en fait une destination de choix et les excursions s’y multiplient, comme celles de la Société des excursionnistes marseillais (1897).

Cette première conquête sportive est non compétitive. Elle ne donne pas lieu à l’émergence d’une mythologie sportive. Il en va de même quand les skieurs, héritiers des charbonniers (qui utilisaient à des planches pour se déplacer dans la neige), s’y aventurent entre-deux-guerres, surtout à partir de 1929, lorsque le Chalet Renard est inauguré à mi-pente, que le Ski Club de Carpentras est fondé et que la compagnie ferroviaire PLM propose des navettes en autocar pour rallier le Ventoux depuis Avignon. Mais là encore, on parle d’un usage ludique, récréatif.

Un banc d’essai automobile

Le Mont Ventoux reçoit ses premières lettres de noblesse compétitives par l’automobile. En 1900, un garagiste marseillais, Marius Masse, conquiert son sommet au volant d’une De Dion. En 1901, un rallye touristique y est organisé. Adolphe Benoît, directeur de La Provence sportive, imagine alors une course de côte. Parrainé par L’Auto et l’Automobile Club d’Avignon, le meeting du Ventoux a lieu le 16 septembre 1902. Paul Chauchard le gagne, sur Panhard-Levassor, à 47 km à l’heure. La rudesse du parcours et la témérité des pilotes en font alors le renom.

Jusqu’à la Grande Guerre, les innovations, avec l’introduction des motocyclettes (et même d’un omnibus en 1907), grandissent sa réputation et sa popularité. Les « prouesses des mangeurs d’espace » (Le Gaulois, 1913), leur vitesse stupéfiante, lui donnent l’image d’un banc d’essai technologique prouvant la qualité de l’industrie automobile française. Une tradition est ainsi posée. Elle est prolongée dans l’entre-deux-guerres et jusqu’à son dernier Âge d’Or, dans les années 1970. Nonobstant, la représentation d’un mont sportif est infiniment plus déterminée par le cyclisme.

À la pédale

À vélo, les pentes du Ventoux sont vaincues en 1901 par un groupe emmené par Paul de Vivie, un des pères du cyclotourisme. En 1902, Adolphe Benoît, se lance à son tour. Il valorise son défi dans La Provence sportive et invite les cyclistes à se mesurer à lui.

Mais les courses du moment, comme Marseille-Paris en 1902, évitent soigneusement de s’affronter à l’inquiétant Ventoux. Ce n’est qu’en 1908 qu’Adolphe Benoît, à nouveau, joue les ouvreurs. Sous le patronage de La Provence Sportive, du Petit Marseillais et de l’Union Cyclopédestre carpentrassienne, il organise un Marathon du Ventoux. Vingt cyclistes et quelques pedestrians défient les 36 km du parcours, dont 21 km de dénivelé. Jacques Gabriel, un bûcheron, gagne l’épreuve en 2 h 27. Le premier pedestrian, Alfred Joyerot, rallie le sommet au terme de 4 h 20 d’efforts.

Après les éditions de 1909 et 1910, pour les seuls cyclistes, l’épreuve disparaît. Elle renaît en 1921 et 1922 mais, dans l’entre-deux-guerres, d’autres courses accentuent la renommée du Ventoux : le Circuit du Ventoux, le Tour du Sud-Est, le Tour du Vaucluse et Paris-Nice. Au demeurant, la mythologie cycliste du Ventoux se forge surtout après la Deuxième Guerre mondiale, avec le Tour de France.

Un sommet, un sacrifice

La Grande Boucle emprunte les lacets du Ventoux pour la première fois en 1951. Le patron du Tour et de L’Equipe, Jacques Goddet, veut durcir l’épreuve pour offrir un spectacle « d’incertitude, sans répit », un « sacrifice suprême ». Louison Bobet gagne l’étape, après « une démonstration faite par le Ventoux, brûlé de soleil et grouillant d’une foule immense » (L’Equipe, 23 juillet 1951).

Les coureurs sortent grandis par l’épreuve. En 1952, Jean Robic passe en tête au sommet avec un « tempérament d’âpreté » égal à celui « du sommet nu, ras, cratère de cailloux dégoulinants » (L’Equipe, 10 juillet 1952).

Plus la course est dure, plus le coureur souffre ; plus il souffre, plus il est grand ; et plus il est grand plus il rend un culte au Ventoux, ennemi et intercesseur à la fois, car il lui permet de se dépasser. Le Ventoux met ainsi en scène un corps à corps entre l’homme (et ses ressources insoupçonnées) et les éléments (une nature sans concession). En 1955, Roland Barthes estime dans ses Mythologies qu’il « personnifie » de la façon « la plus forte » qui soit le « sacrifice » cycliste.

Simpson scelle le mythe

De nombreux moments mémorables marquent les seize passages et arrivées au Ventoux. En 1955, Malléjac, épuisé, défaille devant les caméras de la RTF. En 1965, Poulidor triomphe. En 2002, Pantani domine de manière aussi écrasante qu’improbable. En 2016, Chris Froome gravit la pente en courant, vélo crevé à la main, pour ne pas perdre trop de temps…

Mais, de tous les épisodes ventouriens, c’est la mort de Tom Simpson, en 1967, qui scelle le mythe d’une montagne hostile, face à laquelle seuls les plus grands – ou les plus fous – se mesurent sans rien économiser, jusqu’à tutoyer la mort. Le 13 juillet, le peloton part de Marseille. Le voilà à pied d’œuvre. Il fait 40 degrés. On grimpe. Simpson montre des signes de faiblesse. À deux km du sommet, il ralentit, vacille et chute. Des spectateurs le couchent sur un lit de pierres. Un lit d’agonie. En fin d’après-midi, un communiqué tombe : « Tom Simpson est décédé à 17h40 ». Le dopage, conjugué à son épuisement préalable, à la violence de l’effort et à la chaleur a eu raison de lui. Le forçat de la route est héroïsé par le Ventoux. Inversement, la tragédie de sa mort finit d’établir le mythe de la sauvagerie, à nulle autre pareille, du mont.

Chaque année, une foule de 700 000 cyclistes amateurs, comme autant de pèlerins, se frottent à ce mythe. Initiation : vaincre le Ventoux est une performance et, surtout, un accomplissement. Et d’année en année, l’ogre ventourien renforce son terrible mythe, en voyant mourir cinq à dix valeureux, victimes d’infarctus ou de violentes sorties de route, persuadés qu’ils auraient raison de lui…

Bibliographie

Barruol G., Dautier N., Mondon M. (dir.), Le Mont Ventoux. Encyclopédie d’une montagne provençale, Forcalquier, Alpes de Lumières, 2007.

Fillion P., Hennaux J., Schaffer G., Le Ventoux, sommet de folie, Editions L’Equipe, 2010.

Goddet J., L’Échappée belle, Stock, 1991.

Mondon B., Les grandes heures du Tour de France au Ventoux, Éditions Équinoxe, 1997.

Tétart Ph., « Le Mont Ventoux. Du mythe littéraire au mythe sportif », Sociétés et Représentations, n°45, 2018.

Vigarello G., « Tour de France », in Nora P. (dir.), Les Lieux de Mémoire. III. Les France, Gallimard, 1992.

Tétart, Philippe