La petite ville de Mouriès dans les Bouches-du-Rhône accueille de nombreuses activités physiques et sportives. Son imposant golf de 18 trous donne sur le beau paysage des Alpilles à deux pas de Saint-Rémy-de-Provence et des Baux-de-Provence. Mouriès est aussi connue pour ses falaises situées au nord de la ville à proximité du site archéologique de l’oppidum des caisses de Jean-Jean. Ces falaises sont aujourd’hui fréquentées par les promeneurs ainsi que les grimpeurs qui s’adonnent à l’escalade libre sur les faces sud et nord de la barre rocheuse.
Les premières voies d’escalade à Mouriès
La démocratisation de l’escalade libre dans les années 1970 ainsi que l’amélioration des techniques de grimpe et de l’équipement poussent les grimpeurs à trouver de nouveaux terrains de jeux. Ainsi à la fin des années 1970 et au début des années 1980, de nombreuses falaises commencent à être équipées de spits – un système d’ancrage à la paroi sur lequel est fixé une plaquette métallique percée où l’on peut passer un mousqueton.
En Provence, les sites d’escalade se multiplient et varient selon la difficulté malgré la réticence de certaines municipalités interdisant dans un premier temps la pratique de l’escalade (comme à Buoux et Mouriès en 1980). Au cœur des Alpilles, les falaises de Mouriès sont équipées au début des années 1980 par quelques grimpeurs réputés, tels Laurent Jacob et les frères Le Menestrel, qui signent le Manifeste des Dix-neuf rejetant la compétition d’escalade, ou encore Serge Jaulin qui leur aurait fait découvrir la falaise selon la « légende » contée par Marco Troussier dans le topo, le guide descriptif du site d’escalade.
Le premier équipement des voies est sommaire, les « spits de 8 », utilisés pour la spéléologie, sont posés manuellement à l’aide d’un tamponnoir et sont très espacés. Cette sécurité précaire n’empêche pas les plus vaillants de partir à l’assaut de la falaise qui impressionne les grimpeurs. L’escalade à Mouriès est très technique.
Plus verticale que la face sud, la face nord et ses innombrables prises techniques, appelées « réglettes » ou encore des « mono-doigts », subjuguent ceux qui bouleversent la « scène étroite de l’escalade sportive française » (Marco Troussier, 2010).
La face nord : terrain de jeux et terrain d’exploits
Les premières plaquettes de 8mm cèdent rapidement leur place au profit des plaquettes de 10mm. La falaise est dans le même temps divisée en secteurs suivant leur géographie ou encore leur niveau de difficulté. Ainsi, les secteurs sont baptisés « Mur du singe », « En voiture Simone », « Java », « 4 pas dans l’Étrange » ou bien « Bout du monde ». Ils servent de repère pour les escaladeurs qui peuvent, à partir de 1984, acheter le premier topo de Serge Jaulin.
Les falaises de Mouriès sont désormais réputées. Ils sont nombreux à venir parfaire leur technique sur le calcaire des Alpilles. Les progrès des grimpeurs sont accompagnés des progrès techniques des équipementiers. L’entreprise Béal, créée en 1950, produit les cordes utilisées par les grimpeurs. Plus récente, l’entreprise Petzl développe divers équipements pour les escaladeurs. Cette conjoncture permet alors la réalisation de nombreux exploits à Mouriès où la difficulté est de plus en plus importante. La difficulté des voies d’escalade est cotée suivant une échelle allant de 5 à 8, agrémentée d’une lettre a, b ou c et parfois d’un + (aujourd’hui, les meilleures cotations d’escalade atteignent le 9c).
À l’été 1985, Marc Le Ménestrel parvient à équiper une voie cotée 8a+ à Buoux dans le Luberon. Il baptise cette voie « Chouca » du nom de sa chienne. Durant le mois d’août 1985, il poursuit sa route dans le sud de la France et prend ses quartiers à Mouriès. Il équipe et réalise alors « Le fluide enchanté », le troisième 8b au monde après celui qu’il a réalisé avec « Les mains sales » sur la face ouest du site d’escalade de Buoux dans le Vaucluse quelques jours plus tôt. Marc Le Ménestrel est alors au sommet de l’escalade mondiale uniquement devancé par le célèbre grimpeur allemand Wolfgang Güllich.
Mouriès est alors le théâtre de grandes performances faisant de ce site un haut-lieu de l’escalade sportive et une vitrine de l’escalade française. L’année suivante, Michel Béal, directeur de l’entreprise du même nom, décide alors d’organiser un événement à Mouriès dans le but de promouvoir son matériel. Cet événement, qui se tient les 26 et 27 avril 1986, confirme l’ascension de la marque de cordes qui est le premier fabricant mondial depuis 1986.
Cependant, l’année 1986 sur le calcaire de Mouriès, reste gravée dans les mémoires grâce à un exploit sportif féminin. Catherine Destivelle, alors grimpeuse très médiatisée depuis sa victoire à l’occasion de l’une des premières compétitions d’escalade européenne à Bardonecchia en Italie, le 7 juillet 1985, devient la première femme à réussir un 8a en réalisant « Fleur de rocaille » à Mouriès (à cette époque, les meilleures performances masculines atteignent le 8b+). Cet exploit ébranle le monde de l’escalade et des voix s’élèvent pour remettre en cause la performance de la grimpeuse. Sous la pression d’un milieu misogyne largement dominé par les hommes, la voie est décotée en 7c+. Aujourd’hui encore la voie n’a pas retrouvé sa cotation initiale néanmoins de nombreux grimpeurs gardent à l’esprit cette performance majeure. Le topo de Serge Jaulin précise alors que « Fleur de rocaille » est « le 7c+ le plus 8a des Alpilles » !
Le site d’escalade de Mouriès est alors désormais bien installé et connu des amoureux des falaises. Les voies sont rééquipées pour rehausser les exigences de sécurité par des grimpeurs dévoués tels que Serge Jaulin ou Bruno Fara, puis le comité départemental des Bouches-du-Rhône de la Fédération Française Montagne Escalade (FFME) lance un vaste plan dans le but de rééquiper les voies au début des années 1990.
À cette époque, les sites d’escalade sont nombreux dans la région et Mouriès n’est plus le lieu tant fréquenté de la décennie précédente. Néanmoins, Mouriès garde l’attrait des grimpeurs malgré le goût naissant pour le « bloc » et les falaises inclinées et déversantes. C’est à l’été 1998 que la pratique de l’escalade à Mouriès connaît un coup d’arrêt. Un incendie atteint la falaise au début de l’été rendant impraticables les voies d’escalade au tournant du XXIe siècle.
Le retour de l’escalade à Mouriès
La pinède près de la falaise partie en fumée, les escaladeurs se retrouvent orphelins des fameux secteurs qui ont fait la renommée de l’escalade à Mouriès. Pourtant, ils continuent d’y venir pratiquer. Les voies sont rééquipées petit à petit et les grimpeurs redécouvrent le « paradis de la règle et du mono-doigt » pour Marco Troussier. Si le célèbre grimpeur Chris Sharma vient à Mouriès en 2015 pour se frotter à « Magie blanche », une voie cotée 8b+, les falaises de Mouriès ne sont plus le haut-lieu de la grimpe qu’elles ont pu être dans les années 1980 car désormais les champions franchissent la barre du 9e degré de cotation. Loin du manifeste des Dix-neuf de 1985, la discipline devient olympique en faisant son entrée aux Jeux olympiques de Tokyo 2020 et les compétiteurs s’éloignent des falaises de Mouriès, devenues un haut-lieu du sport-loisir.
La démocratisation de l’escalade s’accompagne d’un grand souci des grimpeurs pour la nature. Ces derniers cherchent désormais à respecter les zones naturelles et les règlementations autour des sites naturels. Le massif des Alpilles devient parc naturel régional en 2006 et fait partie du réseau Natura 2000. Considéré comme un haut-lieu patrimonial pour sa faune et sa flore, les Alpilles accueillent les grimpeurs soucieux de cohabiter avec l’environnement qui les entourent. Ainsi, dans le dernier topo publié, regroupant les sites d’escalade des Alpilles, une page est consacrée au Vautour Percnoptère qui fait, avec d’autres espèces, l’objet d’une attention particulière au sein du PNR des Alpilles en vue de sa conservation dans le sud-est de la France.
Les falaises de Mouriès, au cœur du Parc naturel régional des Alpilles, sont aujourd’hui un haut-lieu de l’escalade. Cet inépuisable terrain de jeu pour grimpeurs conserve toute son importance et est parvenu à s’imposer comme vitrine de l’escalade libre au niveau mondial.
Bibliographie
Chabrol, Jean-Paul, « Une brève histoire de l’escalade dans les Bouches-du-Rhône » [Url : https://www.academia.edu/42279111/Histoire_escalade_BDR_vuJPB].
Groupe archéologique de Mouriès, « L’oppidum des caisses de Jean-Jean », dans Comité départemental des Bouches-du-Rhône de la FFME, Escalade. Les Alpilles, FFME, 2010, p. 120.
Troussier, Marco, « Dernières nouvelles du Vieux monde », dans Comité départemental des Bouches-du-Rhône de la FFME, Escalade. Les Alpilles, FFME, 2010, p. 78-79.
Troussier, Marco, « Mouriès… et autres plaisirs minuscules », dans Comité départemental des Bouches-du-Rhône de la FFME, Escalade. Les Alpilles, FFME, 2010, p. 110-111.
Yolka, Philippe, « Les restrictions à l’usage des sites », dans Yolka, Philippe (dir.), Escalade et droit, Grenoble, PUG, coll. « Droit et action publique », 2015, p. 75-90.
Zenasni, Audrey, « Le Vautour Percnoptère », dans Comité départemental des Bouches-du-Rhône de la FFME, Escalade. Les Alpilles, FFME, 2010, p. 139.
Sitographie
La présentation de Mouriès sur le site internet de Bruno Fara : http://bfara.free.fr/Accueil/Ecoles/Mouries/page_mouries01.htm