La Tombe de William Webb Ellis à Menton

La Tombe de William Webb Ellis à Menton

​Ville de villégiature et de soin dès le XIXe siècle pour de nombreux Britanniques et autres aristocrates européens, la cité de Menton abrite un patrimoine sportif, à résonance mondiale, méconnu : la tombe de William Webb Ellis, considéré comme l’inventeur du rugby. Redécouverte, par un journaliste exerçant à Nice et passionné de ce sport, à la fin des années 1950, cette sépulture est dès lors devenue un lieu de mémoire pour le monde de l’ovalie. La ville s’est également progressivement approprié ce patrimoine local, motif de prestige et d’attraction touristique.  

L’inventeur du rugby

Né en 1806 à Salford près de Manchester, au Royaume-Uni, et issu d’un milieu plutôt modeste, William Webb Ellis étudie pourtant à la prestigieuse Rugby School, établissement privé fréquenté par les enfants des élites anglaises. Sa mère s’est installée dans cette petite bourgade des Midlands, à deux heures de train au Nord-Ouest de Londres, après le décès de son mari lors de la guerre d’Espagne en 1811. À l’adolescence, le jeune homme, sans le savoir, va contribuer à rendre le patronyme de la ville mondialement célèbre pour la postérité. En 1823 lors d’une partie de jeu traditionnel (Folk football) dont les règles sont encore très variables, il se serait en effet saisi du ballon à la main, l’aurait serré contre lui, tout en se projetant vers l’avant, avant de finalement le déposer derrière la ligne. Quel que soit le degré de véracité de la situation, un mythe naît alors et il demeure aujourd’hui bien vivant.

William Webb Ellis quitte ensuite, en 1825, la Rugby School pour l’Université d’Oxford où il est boursier. Une fois ses études achevées, il entame une carrière ecclésiastique en devenant pasteur anglican. À une date indéterminée, il s’installe sur la Riviera française, lieu de villégiature appréciée des Britanniques aisés, et meurt à Menton dans l’anonymat le 24 janvier 1872. Il est alors inhumé au cimetière du Vieux Château dans une concession, qu’il aurait lui-même achetée. Ce cimetière, avec vue sur la Méditerranée, est cosmopolite puisqu’y reposent de nombreux aristocrates britanniques ou russes venus finir leurs jours et soigner leurs maux, dont la tuberculose, en profitant du climat clément de la Côte d’Azur.

La redécouverte d’une tombe devenue lieu de mémoire du rugby

Après un long temps d’oubli, la tombe de William Webb Ellis est redécouverte en 1958 par Roger Driès, journaliste sportif originaire du Sud-Ouest ayant joué au rugby et officiant au quotidien azuréen Nice-Matin, entre autres comme éminent spécialiste du ballon ovale. Lors d’une rencontre France Angleterre disputée à Twickenham, il apprend en discutant avec un confrère anglais, Alan Ross McWhirter, que la tombe du père du rugby se trouverait sur la Côte d’Azur. Au gré de ses déplacements, Roger Driès visite alors différents cimetières à Nice ou à Cannes. Mais c’est finalement sur les hauteurs de Menton dans le carré protestant du cimetière du Vieux Château, alors presque à l’abandon, qu’il découvre la fameuse sépulture, une plate-tombe entourée d’une clôture en fer forgé.

Dès lors, plusieurs plaques commémoratives sont apposées par diverses instances du rugby contribuant à l’érection d’un lieu de mémoire. En 1960, la Fédération française de rugby (FFR) dépose une plaque commémorative sur la tombe de William Webb Ellis, témoignant de se reconnaissance à l’inventeur du rugby. En 1972, un siècle après la mort de William Webb Ellis, une cérémonie a lieu et une plaque est apposée, à l’initiative de l’école de Rugby, pour commémorer le centenaire de sa disparition. En 1983 à l’occasion de son congrès tenu à Nice, la FFR pose une nouvelle plaque tandis que la Fédération anglaise de rugby ou Rugby Football Union (RFU) en fait de même.

La figure de William Webb Ellis acquiert plus encore une notoriété internationale avec l’attribution d’un trophée en son nom (Webb Ellis Cup) à l’équipe vainqueur de la Coupe du monde de Rugby, dont la première édition se déroule en 1987. À l’occasion de la deuxième édition de cette compétition, organisée en 1991 en partie de France (des matchs se déroulent aussi en Angleterre, au Pays de Galles, en Écosse et en Irlande) une nouvelle plaque est déposée sur la tombe. En 2007, c’est au tour de la fédération néo-zélandaise de rugby de déposer une plaque sur la tombe, alors que les All Blacks participent à la sixième coupe du monde de rugby, organisée cette fois exclusivement en France. Depuis 2007, trône aussi à l’entrée basse du cimetière du Vieux Château, une statue en bronze de William Webb Ellis offerte par la ville de Rugby et l’International Rugby Board (IRB) à la ville de Menton. Réalisée par le sculpteur britannique Graham Ibbeson, elle montre un jeune adolescent anglais effectuant son geste fondateur. L’artiste a pris pour modèle son propre fils, car les traits du pasteur sont incertains. Il s’agit en fait d’une réplique de la statue inaugurée à Rugby dix ans auparavant, en 1997. Cette statue côtoie une plaque portant les signatures des capitaines des vingt équipes participant à la sixième Coupe du monde. Ces derniers sont en effet venus lui rendre hommage et le trophée est symboliquement déposé sur la tombe.

D’illustres autres joueurs en activité ou retraités ont également fait le déplacement sur ce lieu de mémoire de leur sport, à l’instar, en 2012, de Jonny Wilkinson, international anglais et joueur du Racing Club de Toulon (RCT). De même, le 12 juillet 2023, l’ancien demi de mêlé et sélectionneur du XV de France, Fabien Galthié, se rend lui aussi en pèlerinage sur la tombe de William Webb Ellis en préambule à la dixième édition de la Coupe du monde, compétition organisée pour la seconde fois dans l’Hexagone.

Plus largement les fans de ballon ovale fréquentent le cimetière du Vieux Château qui devient une sorte de lieu de pèlerinage. Ces passionnés viennent déposer dans l’enclos des ballons ovales, des maillots, des écharpes, des casquettes mais aussi de simples fleurs et couronnes.

Un patrimoine mentonnais

Dans ce contexte de ferveur, la ville de Menton, bien que plutôt terre de football que de rugby, revendique de plus en plus fortement l’héritage de William Webb Ellis. Elle porte, depuis plusieurs décennies, un soin particulier à honorer périodiquement son illustre défunt. Ainsi en 1972, à l’occasion du centenaire de sa mort, un match oppose, au stade Lucien Rhein, l’équipe locale du Rapid Rugby Club Menton, renforcée par des joueurs du Racing Rugby Club de Nice, à l’équipe anglaise de la ville de Rugby. Cette appropriation se renforce encore deux ans plus tard, puisqu’en mars 1974, le conseil municipal de Menton prend la décision symbolique de baptiser une rue de la ville, située près de la gare de Menton Garavan, au nom de Webb Ellis. Le lieu précis où se trouve sa sépulture, au cimetière du Vieux Château, porte par ailleurs désormais le nom de « Placette William Webb Ellis ». Une autre étape symbolique de cette patrimonialisation locale, est la création, en 1993, d’une école de rugby Webb Ellis, qui devient en 2001 le Rugby Club Menton Webb Ellis. En 2020, une plaque est par ailleurs dévoilée sur l’église anglicane Saint John, fréquentée par l’intéressé jusqu’à sa mort en 1872. À l’occasion de la Coupe du monde 2023, disputée en France, la tombe est rénovée et la municipalité, en étroite collaboration avec le club, met en place, dans les rues de la ville, au départ de l’office du tourisme, un parcours pédagogique de deux kilomètres et demi composé de vingt et un panneaux avec QR codes racontant en français, en anglais et en italien l’histoire du rugby. Le trophée Webb Ellis, remis au vainqueur de la Coupe du monde, fait par ailleurs une nouvelle apparition sur la sépulture en septembre 2023. La tombe de William Webb Ellis est un atout supplémentaire dans l’attractivité touristique de Menton. De nombreux touristes britanniques, australiens, néo-zélandais ou même japonais visitent en effet chaque année Menton dans le but de rendre hommage à William Webb Ellis.

Par ailleurs, la figure de William Webb Ellis est mobilisée localement à des fins pédagogiques dans le cadre de la transmission des valeurs supposées positives véhiculées par le rugby. Depuis les années 1990, l’école de rugby Webb Ellis organise ainsi, chaque premier week-end du mois d’octobre, un tournoi sur deux jours au stade du Val d’Anaud. Par ailleurs, en préambule à la Coupe du monde 2023, un challenge Webb Ellis est proposé à plus de 300 élèves de CM1 et CM2 des écoles du bassin mentonnais. Ayant bénéficié d’une initiation au rugby au cours de l’année scolaire, ils se réunissent au stade Lucien Rhein pour pratiquer ce sport de manière festive.

En dépit de l’historicité incertaine de son rôle pionnier joué dans la naissance du rugby, William Webb Ellis n’en est donc pas moins devenu une figure fondatrice mythique à qui l’on voue une sorte de culte. Dans ces conditions, sa sépulture s’impose comme un haut lieu du patrimoine sportif, qui résonne à différentes échelles tant internationale que locale.

Bibliographie

Jean-Pierre Bodis, Histoire mondiale du rugby, Toulouse, Privat, 1987.

Sébastien Darbon, Diffusion des sports et impérialisme anglo-saxon, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2008.

Paul Dietschy, Patrick Clastres (dir.), Le Rugby, une histoire entre village et monde, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2011.

Paul Dietschy, Yvan Gastaut, « La Tombe de William Webb Ellis à Menton, entre légende et patrimoine rugbystiques », Football(s) : Histoire, culture, économie, société, n° 3, 2023, p. 205-212.

Kronenberger, Stéphane; Gastaut, Yvan