Les premières foulées sur le stade Jean Bouin
La diffusion du sport durant l’entre-deux-guerres conduit la municipalité à envisager la construction d’équipements sportifs à Marseille. Toutefois, l’action municipale est encore pour beaucoup soutenue par le secteur privé. C’est alors que le 1er novembre 1921 est inauguré le stade Jean Bouin dans le quartier de Sainte-Anne aux abords du parc Borély en présence du ministre de la Guerre Louis Barthou ou encore du sénateur-maire de Marseille, Siméon Flaissières. La section marseillaise du Club athlétique de la Société générale (CASG), fondé à l’initiative de la banque Société générale, est propriétaire du stade et organise le match inaugural qui oppose le CASG Paris au Club Athlétique de Vitry.
Ce « terrain de sport confortable et d’un coup d’œil grandiose et imposant », aux dires d’un journaliste du Petit Marseillais (30 octobre 1921), attire la convoitise de nombreux clubs de la ville qui est sous équipée en stades. Très vite, le rugby et le football ou encore l’athlétisme s’épanouissent au stade Jean Bouin, baptisé du nom du champion marseillais employé par la banque et licencié au CASG de 1911 à 1913. Cette forme d’amateurisme marron lui a permis d’obtenir de grands succès (Cross des nations, record du monde du 10 000 mètres) et de se concentrer sur la préparation des Jeux olympiques de Stockholm de 1912 où il obtient une médaille d’argent sur 5 000 mètres. Toutefois, cette carrière s’arrête brutalement en septembre 1914 lorsque Jean Bouin tombe au champ d’honneur dans la Marne. De nombreux hommages lui sont rendus et une statue est inaugurée par la suite à Marseille.
La Journée Jean Bouin
Dès 1922, le CASG de Marseille participe à rendre hommage au champion et décide d’organiser la Journée Jean Bouin, un important meeting d’athlétisme au stade Jean Bouin. L’année suivante, l’événement est reconduit par le CASG au profit de l’Institut Pasteur. La Journée Jean Bouin se mêle aussi au Challenge Ernest Jolet, réservé aux clubs féminins. Mais le CASG subit un coup d’arrêt deux ans plus tard. Alors que sa Journée Jean Bouin s’installe dans le paysage sportif local, l’édition 1925 est annulée à cause de la situation critique des banques. Cependant, l’année suivante, la Journée Jean Bouin et le challenge Jolet sont de nouveau programmés permettant aux spectateurs marseillais de voir les champions locaux se mesurer aux athlètes de très haut niveau comme la Toulonnaise Louise Bellon, championne de France et médaillée de bronze aux mondiaux féminins en 1926 sur 1 000 mètres. Deux ans plus tard, la tête d’affiche de la journée est le champion du 800 mètres suisse Paul Martin, vice-champion olympique aux Jeux 1924 de la distance.
À partir de 1929, le meeting est en perte de vitesse et l’édition 1931 est la dernière malgré la présence des vedettes telles Jean Keller, champion de France du 800 mètres l’année précédente ou Jules Ladoumègue, vice-champion olympique français sur 1 500 mètres aux Jeux olympiques de 1928 à Amsterdam.
Par la suite, le Petit Provençal tente durant la Seconde Guerre mondiale de restaurer cette fête sportive au parc Borély puis au Stade vélodrome sans retrouver le succès des premières éditions.
Le sport scolaire et universitaire
Du fait du manque d’équipements sportifs, le sport scolaire s’invite très rapidement au stade Jean Bouin. Dès 1922, le stade accueille un match du Championnat de France interscolaire de rugby opposant l’École d’électricité de Marseille à l’École normale d’Albertville. Chaque semaine, le stade est utilisé par différents clubs ou écoles en fonction de leur calendrier sportif. Ces fameux « matchs du dimanche » laissent place quelques fois à des événements ponctuels qui célèbrent le sport scolaire et universitaire. Sous l’impulsion de la section rugby de l’Olympique de Marseille, du Rugby-Club de Marseille ou encore du Stade marseillais université club (SMUC), le stade Jean Bouin devient un haut-lieu du rugby marseillais.
Outre plusieurs championnats régionaux d’athlétisme scolaires et universitaires, le stade Jean Bouin est le théâtre de tournois de rugby universitaires.
L’antre du SMUC
Le Stade marseillais université club devenant de plus en plus important, le stade Jean Bouin devient l’antre privilégié de ce club omnisport créé en 1923. Il y organise de nombreux événements sportifs autour de ses sections sportives non seulement de rugby, mais aussi de football, et d’athlétisme. À l’image de ce club, le stade Jean Bouin démontre toute sa dimension omnisport. Avec ces trois disciplines principales – auxquelles s’ajoutent le hockey et le basket-ball dans une moindre mesure –, les manifestations sportives sont très régulières.
En 1937, le CASG cesse ses activités et laisse vacant le stade Jean Bouin. Le SMUC se positionne pour récupérer les lieux. Il obtient du rectorat l’achat du terrain de la campagne Lafitte, avenue Clot-Bey où se situe le stade Jean Bouin, désormais utilisé par le SMUC.
Durant la Seconde Guerre mondiale, le club organise la journée du SMUC destinée à mettre en valeur tous les champions du club. Les activités sportives se diversifient. La section de handball masculin est ouverte en 1941 suivie de la section féminine en 1943 : on joue alors à 11 sur la pelouse du stade. La section volley-ball est créée dix ans plus tard. Suit la section judo en 1963. Le SMUC est désormais bien installé au stade Jean Bouin et décide de s’émanciper de l’Association Générale des Étudiants de Marseille (AGEM, section marseillaise de l’UNEF) dont il était la section sportive pour transférer son secrétariat au stade Jean Bouin en 1965. Il est alors l’un des plus importants clubs de Marseille et le premier club omnisport régional qui compte plus de 2 000 licenciés en 1973.
Un complexe sportif
Le développement du SMUC s’accompagne d’une volonté de modernisation des infrastructures sportives de la part de la ville de Marseille. Sous l’impulsion du maire Gaston Defferre et de l’adjoint aux sports Roger Lebert, le stade Jean Bouin devient un complexe sportif. Maurice Herzog, responsable de la Jeunesse et des Sports sous la présidence de Charles De Gaulle incite les municipalités à se doter d’infrastructures destinées à développer à la fois la pratique sportive des Français et à former les futurs champions. Ainsi, en 1958, sont inaugurés des courts de tennis, en 1960 une salle omnisports puis une piscine en 1967 notamment. Ces efforts sont accompagnés de réalisations propres au SMUC comme un club-house pour la section de tennis, un nouveau court en terre battue, un parking et l’éclairage de diverses installations.
Malgré la fermeture rapide de la piscine en 1978 à cause d’une avarie irréparable, le complexe Jean Bouin offre donc des installations variées et modernes accompagnant l’essor des pratiques sportives de masse. À la fin du XXe siècle, les lieux font l’objet d’une rénovation progressive. Un pôle national de gymnastique y est créé, tandis que le club s’ouvre à un public plus large que les simples scolaires et universitaires. Néanmoins, à l’heure où les activités sportives de loisirs pratiquées hors du giron des fédérations connaissent un engouement grandissant, la fréquentation des installations du SMUC n’est plus aussi forte qu’auparavant aux dires de nombreux anciens. Le club est alors contraint de diversifier ses activités et de créer des sections pour les sports de nature et plein air comme l’escalade en 1997 et le VTT en 2000.
La modernisation du complexe
Cette adaptation des pratiques et des infrastructures permet alors au SMUC de compter aujourd’hui toujours plus d’adhérents (plus de 5000 en 2015). La ville de Marseille poursuit la modernisation du complexe sportif Jean Bouin qui s’étend aujourd’hui sur 6 hectares. À l’occasion de la Coupe du monde de rugby 2007 en France, le stade Vélodrome accueille des matchs et l’équipe nationale de Nouvelle-Zélande installe au stade Jean Bouin son camp d’entrainement. Pour l’occasion, le complexe est réhabilité avec la réfection de la pelouse, l’extension des gradins à 600 places assises, la rénovation du gymnase, une salle de musculation ou encore la création d’un terrain annexe en pelouse synthétique.
Il est devenu l’un des plus importants complexes sportifs marseillais, fréquenté par près de 258 000 utilisateurs chaque année selon la municipalité (2006).
Bibliographie
Marseille, ville sportive. Histoires des lieux et des hommes, Marseille, Les Éditions du Comité du Vieux-Marseille, 2017.
Barthélemy Marianne, « Un club omnisports dans le paysage sportif local : le SMUC », Revue Marseille, n° 208, mai 2005, p. 68-75.
Barthélemy Marianne, SMUC, 100 ans d’histoires de sport à Marseille, Marseille, Gaussens, 2023.
Maccario Bernard, Jean Bouin. Héros du sport, héros de la Grande Guerre, Paris, Chistera, 2018.
Rambaud René, Marseille, la passion du sport, Marseille, Éditions méditerranéennes du Prado, coll. « Une ville, un patrimoine », 1993.