L’hippodrome de la Durance à Cavaillon

L’hippodrome de la Durance à Cavaillon

L’aménagement de digues de protection contre la Durance permit, dès le milieu du XIXe siècle, la création d’un hippodrome qui a subsisté jusqu’à aujourd’hui non sans péripéties et au prix d’aménagements successifs consentis par la Société hippique de Cavaillon et la municipalité de la cité vauclusienne. Demeurant l’un des plus importants de Provence, il constitue une source d’emploi et d’attractivité pour la ville.  

La création de la Société hippique et l’aménagement de l’hippodrome

La Société hippique de Cavaillon naît en 1859 à l’initiative de notabilités locales fortunées. Alfred de Bonfils, notaire et premier adjoint au maire, puis Jean Duckers, industriel, en sont les premiers présidents, suivis par d’autres notaires, directeurs de banque ou entrepreneurs. À partir du milieu du XIXe siècle, le turf séduit en effet de plus en plus les élites par imitation du modèle britannique. Cette société aménage donc un champ de courses aux abords immédiats de la Durance. Ces terrains, repris sur la rivière, grâce aux digues de protection contre les crues (la « digue n° 2 » deviendra la « Digue des courses »), appartiennent alors au Syndicat de la Durance qui en autorise l’usage à la Société hippique. La piste d’origine, coincée entre la Durance à l’ouest et un fossé d’écoulement, le Risen, à l’est, peine à trouver des proportions suffisantes. Elle n’est longue que de 1000 mètres. La ligne droite d’arrivée ne dépasse pas les 140 mètres, et les tournants, trop serrés, présentent pour les cavaliers de notables inconvénients. Les tribunes d’origine semblent, d’après les documents iconographiques, construites en bois et s’élever sur six gradins. Au centre, la tribune d’honneur est largement pavoisée et des tentures protègent le public du vent et du soleil.

L’hippodrome de Cavaillon accueille ses premières épreuves le 4 septembre 1861 à l’occasion des fêtes de la Saint-Gilles. L’hebdomadaire local L’Écho du Luberon donne des comptes rendus fort détaillés et parfois hauts en couleur, à partir de 1864, de ces réunions brillantes et déjà fort courues. Toutefois, le champ de courses subit régulièrement les crues saisonnières de la capricieuse Durance, qui emportent la piste et dévastent la pelouse. La Société hippique assure sa remise en état comme l’entretien de la Digue des courses.

Une amélioration progressive des installations

La Société hippique de Cavaillon s’efforce d’améliorer progressivement le champ de courses et les installations attenantes. Le tracé de la piste a dissuadé les meilleures écuries de s’y produire. Pour remédier à ces inconvénients, le terrain est agrandi entre 1910 et 1912, la piste rallongée de 300 mètres et les tournants rectifiés. Dès 1881, on avait construit sur la pelouse une enceinte de pesage, un paddock et, sans doute vers 1891, un édicule pour le pari mutuel. La municipalité se préoccupe quant à elle du chemin d’accès, car « aussitôt après les dernières courses, des centaines de voitures de toutes formes et de toutes dimensions et des milliers de piétons se précipitent sur la route de la Resse, trop étroite pour les contenir ». Un règlement de circulation définit dès lors un parcours différencié d’arrivée et de retour. Le déclenchement de la Première Guerre mondiale marque un coup d’arrêt pour les activités hippiques.

Mais la Société hippique se reforme en 1920 sous la présidence d’Auguste Jouve, sériciculteur. La reprise est rapide une fois la paix revenue, en lien avec le développement dans l’entre-deux-guerres du spectacle sportif. Le succès est tel que, sur la demande pressante de la municipalité, la Société hippique organise également, à partir de 1922, deux journées en mai à l’occasion des fêtes de printemps. Ces courses sont l’événement phare des festivités, et la Société compte alors près de 600 membres. De nouveaux statuts, votés en février 1925 sous la présidence de Marcel Liffran, notaire, organisent les cadres d’une souscription de 600 000 francs. Les sociétaires acquièrent une ou plusieurs parts de 1000 francs remboursables à trente ans par tirage au sort. Le statut de simple adhérent non-souscripteur donne droit à une entrée voiture sur l’hippodrome, une carte personnelle et trois invitations par an. Grâce à la souscription, la Société hippique fait construire, en 1925, des tribunes en béton avec charpente métallique et aménage un « jardin anglais » sous les platanes du parc d’accès.

Dans les années 1930, le Grand Prix de Cavaillon, doté d’une forte somme d’argent et disputé début septembre lors des fêtes de la Saint-Gilles, constitue un succès sportif, mais aussi mondain avec notamment « le bataillon des élégantes en grande tenue de parade ». Un nouvel intermède forcé intervient pendant la Seconde Guerre mondiale, puisque la direction générale des Chantiers de jeunesse (Groupement Bonaparte n° 13) réquisitionne l’hippodrome d’août 1940 à novembre 1943. Les troupes allemandes occupent à leur tour l’hippodrome jusqu’en août 1944. De son côté, la municipalité imagine un vaste projet de Parc des sports sur le terrain de l’hippodrome. Elle en confie l’étude, en 1941, à l’architecte Georges Brodovitch, réfugié en Luberon, et aux étudiants en architecture du Groupe d’Oppède. Du rugby au tennis, du football à la natation, une large gamme de sports pourraient y être pratiqués. Ce projet pharaonique, nécessitant le rachat des terrains à la Société hippique et de nouvelles constructions, ne verra cependant pas le jour. En 1943, la situation financière de la Société hippique est largement fragilisée avec une dette qui s’amplifie un peu plus chaque année, conduisant à céder à la municipalité l’ensemble des 17 ha de l’hippodrome pour 60 000 francs, soit le montant de sa dette. Cette vente prévoit de lui laisser la libre disposition des installations pour l’organisation des courses. Elle reste maître de l’entretien des pistes, des balances et des boxes, tandis que la municipalité assume de son côté l’entretien de tous les autres terrains et équipements.

Une montée en puissance après la Seconde Guerre mondiale

Dans l’immédiat après-guerre, l’hippodrome est fort dégradé : fondrières boueuses, pavillon des balances ayant servi de prison, buvette convertie en entrepôt de plâtre et wc en soute à charbon. Sa nécessaire remise en état est un vaste chantier qui mobilise des dizaines d’entreprises locales et met à contribution des prisonniers de guerre. Les artisans de cette renaissance sont l’architecte Arthur Mathieu, Fleury Mitifiot, maire de Cavaillon, et Alphonse Leclerc, conseiller municipal et turfiste notoire. Le dirigeant Louis Delaye réactive parallèlement tous les réseaux du monde hippique (écuries et entraîneurs) afin d’être en mesure d’organiser des courses dès la remise en état des principales installations pour les fêtes de la Saint-Gilles 1946. Un quotidien local conclut : « Le Deauville provençal aura su revivre ».

Dans les années 1950, l’hippodrome de Cavaillon bénéficie de la fermeture de trois établissements voisins, ceux de Châteaurenard, de Cabannes et d’Orange. Leurs présidents respectifs intègrent le comité de la Société hippique de Cavaillon, présidé par Étienne Accarie, ancien maire et conseiller général.

La décennie 1970 voit se produire d’importants travaux de rénovation, et de nombreux investissements sont réalisés : nouvelle salle des balances, salon des commissaires, 60 boxes supplémentaires, et surtout création de la piste en sable réservée aux trotteurs. Achevé en 1973, cet anneau de 1200 mètres de long sur 20 mètres de large situé à l’intérieur de la piste en gazon, classe l’hippodrome de la Durance parmi les plus appréciés de la région. La municipalité aménage sur la pelouse cinq terrains d’entraînement de football et de rugby, dont deux sont dotés de l’éclairage nocturne en 1980. Les tribunes datant de 1925 sont rénovées en 1991 : réfection de la charpente métallique et des gradins inférieurs, aménagement de bureaux sous les tribunes mis à la disposition de nombreux clubs sportifs. La piste en sable est quant à elle refaite en 1994 à la demande des professionnels et sous le contrôle du responsable de la rénovation des pistes de l’hippodrome de Vincennes : un mélange mâchefer-pouzzolane remplace dès lors le sable.

Aujourd’hui, la Société hippique organise toujours des courses d’avril à octobre sur l’hippodrome de Cavaillon et mène, en marge de chaque réunion hippique, une politique dynamique en direction des publics : visites découverte, animations pour les enfants ou tombolas.

Temple des courses, la pelouse engazonnée de l’hippodrome de Cavaillon est aussi régulièrement investie par d’autres manifestations sportives, comme le cross des collèges ou des tournois de sport collectif. Le Challenge Jean Ruat réunit ainsi chaque année en fin de saison des centaines d’enfants de moins de 8 ans issus des écoles de rugby de la région, qui s’affrontent dans une ambiance festive avant de tous recevoir une médaille. Bien que Cavaillon soit plus tournée vers le ballon ovale que vers le ballon rond, le terrain de l’hippodrome est depuis le début des années 1980 réquisitionné durant quelques jours pour servir de cadre à des stages s’adressant à de jeunes footballeurs en herbe : les Stages Bosquier. Encadrés initialement par les anciens joueurs internationaux Bernard Bosquier et Jean-Michel Larqué, ils le sont aujourd’hui par Bernard et Nicolas Bosquier, secondés par plusieurs autres éducateurs. Enfin, certaines des festivités de la ville, tels le feu d’artifice du 14 juillet, des soirées musicales ou des fêtes associatives y sont aussi organisées.

Bibliographie

Société hippique : Projet de statuts, Cavaillon, Imprimerie Mistral, 1925.

Grange Sylvie, Une Famille en Provence : chronique photographique, 1894 1914, Avignon, Fondation Calvet, 1995. 

Chevaldonné-Maignan Hélène, Cavaillon, Joué-lès-Tours, Éditions Alan Sutton, 1999.

Kronenberger, Stéphane; Maignan, Hélène